Vacances : la culture sans obligation

Une météo propice
L’été est une saison propice pour goûter la musique dans le cadre reposé et reposant des édifices religieux de nos campagnes. La clémence de la météo favorise la fréquentation des églises et chapelles qui ne disposent pas en temps normal de système de chauffage très perfectionné, et ne sont donc pas capables d’accueillir le public en hiver. De plus, les vacances nous trouvent (et nous rendent) plus disposés à prendre le temps pour apprécier les « annexes » d’un concert : la nature environnante, l’architecture du monument qui sert de théâtre à la représentation, les verres conviviaux servis à l’entracte ou à la fin du concert.
Ne pas courir de marathon culturel
Depuis plusieurs décennies, l’offre culturelle décuple durant les vacances estivales dans nos campagnes. Concerts, pièces de théâtre, cinéma en plein air, expos en tout genre : on ne compte plus les manifestations chargées d’ appâter le vacancier ou le touriste. Cependant, la « culture » a beau se présenter comme symbole de gratuité, d’ouverture d’esprit, de compréhension désintéressée du monde, ce n’est pas une raison pour se croire obligé d’honorer toutes ces offres de notre présence, de transformer nos congés en marathon « cultureux ». Surtout, il s’agit de ne pas se forcer : nous sommes en vacance, n’est-ce pas ? Nous n’avons rien à prouver à personne. Il ne faudrait pas que ce qui est « gratuit » se transforme, ironie de l’histoire, en obligation !
Non, il est simplement question pour vous, en vous rendant à ce concert semi-champêtre donné dans une mignonnette église à l’entrée du village, de profiter de la conjonction de la douceur d’une soirée d’été, du charme de l’édifice religieux (fermé en journée) et de la beauté des programmes musicaux. Ne vous prenez pas la tête : gardez-vous bien d’obéir à un Surmoi importun qui vous intimerait l’ordre de vous bourrer le crâne du maximum de culture possible.
Plaisir d’une limonade partagée dans le jardin du presbytère
Le corps reposé, l’esprit moins stressé, vous n’avez pas pris la décision de vous rendre dans cette charmante église romane pour épater vos amis qui sont restés dans la fournaise de la métropole, ni pour vous ouvrir à une « expérience des sens » inédite, qui aurait fait s’ébaudir ceux de vos amis férus d’art transgressif. Pour votre part, vous vous rendez à ce concert dans le but très simple de jouir d’un moment musical, que le cadre champêtre et religieux dans lequel il est donné, rehaussera de sa spiritualité.
A l’entracte, vous sortirez dans le jardin du presbytère avec celui, ou celle, qui vous aura accompagné, dans le jardin du presbytère. Si des connaissances ont eu la même idée que vous pour cette soirée ( dans le cas où vous ne seriez pas dans la région en touriste), ce sera l’occasion de les saluer, d’entamer la discussion avec elles, de demander des nouvelles de leurs proches. Ce soir, la musique doit rester un plaisir et une occasion de sortie.
Réserver les idées lourdes et brumeuses aux jours raccourcis de l’hiver
A l’entrée de l’église, si une plaquette vous est distribuée, sur laquelle l’organisateur a cru bon d’assener à son public d’un soir le fruit de ses élucubrations brumeuses sur le rôle de la musique dans la vie en société, ou sur son impact politique, prenez-la par politesse, mais abstenez-vous d’y jeter un coup d’oeil. Vous avez mieux à faire, par cette soirée enchantée, que de vous torturer l’esprit avec des théories absconses. Vous y réfléchirez lorsque les frimas de l’hiver auront réapparu.
Pour l’heure, savourez les mélodies de cette musique de chambre, et félicitez-vous d’avoir répondu à l’appel de votre désir. Goûtez tout simplement la suavité des instruments à cordes qui mettent particulièrement en valeur les courbes romanes des chapelles latérales du joyau de l’architecture religieuse qui vous accueille. L’oreille rend votre oeil plus contemplatif.
A la fin du concert, si le désormais fameux « verre de la convivialité » vous est offert, ne déclinez pas l’invitation. Ce sera pour vous l’occasion de converser avec des inconnus qui vous apprendront des choses auxquelles vous n’aurez pas pensées. Des passionnés, ou des mélomanes d’un soir, qu’importe. Et puis, il y ce ciel étoilé, un ciel d ‘été plein de promesse, comme la vision de Ruth dans le poème de Victor Hugo Booz endormi. Laissez-vous prendre par cette nuit enchantée. C’est ce que vous aurez de mieux à faire ce soir ! Les « exigences culturelles » attendront !
Grâce d’une nuit d’été
Il est presque minuit. Vous repartez en voiture rejoindre la maison que vous louez. La vitre de votre véhicule ouverte, vous continuez à bavarder avec celui ou celle qui vous accompagne. Et dire que c’est lui, ou elle, qui a insisté pour assister à ce concert ! Dans votre esprit c’était, sinon une corvée « culturelle », telle que celle que l’on s’inflige par mauvaise conscience de ne pas travailler (c’est les vacances !), du moins une sortie tout ce qu’il y de plus facultatif, et risquée de surcroît si on s’y ennuie. Finalement, vous avez été bien inspiré de lui faire confiance !
Il n’y a pas que la pétanque et les sorties à la plage dans la vie d’un vacancier ! Les moments culturels peuvent se révéler aussi légers que gracieux et enrichissants ! Ce n’est pas parce que chaque collectivité rivalise avec ses voisines pour attirer le chalant avec son offre de spectacles, plus surprenants les uns que les autres, que la culture est forcément pédante durant la saison estivale. Dites-vous bien qu’il y a un temps pour tout, et que le comble de la pédanterie consiste à préférer une course de vachettes à Mozart ! Si le festival d’Avignon vous donne des complexes – comme ces personnes qui n’osent pas entrer dans une librairie de peur que l’on découvre qu’elles ne lisent pas – choisissez une manifestation plus simple.
Restez persuadé que rien n’est plus propice à goûter le beau comme une âme et un esprit reposés, reposés des soucis qui nous assaillent le reste de l’année, et auxquels vous donnez allégrement congé ces jours-ci !
Légèreté et profondeur
Vous vous sentez tout léger. Cette musique était à votre portée. Combien sont-ils à croire que la musique de chambre n’est pas faite pour eux ! Personne ne les a jamais amenés au concert. Quel dommage ! Sans doute pensent-ils que ce loisir est réservé à une classe sociale qui n’est pas la leur. Ou bien ont-ils peur qu’on ne les démasque – comme s’il existait un code vestimentaire, une façon de déplacer son corps dans l’espace, propres à l’amateur de musique baroque !
Et puis, quand bien même vous seriez vous-même un balourd, un béotien, un philistin, que vous ne possèderiez pas le pedigree de l’amateur des concerts-qui-se-donnent-dans-les-églises-les-soirs-d’été, il y a votre femme qui vous couvre, votre femme à la prestance sans égale, qui joint à son charme incomparable son goût sûr pour la belle musique. A ses bras, la culture devient tellement plus légère et aérienne ! Et les mondanités, tellement plus gratifiantes ! De quoi vous seriez-vous privé si elle n’avait pas pris l’initiative de vous sortir ce soir !
Jean-Michel Castaing
Une réponse à “Vacances : la culture sans obligation”
Bel article, j’ai justement dans les environs une chapelle dans laquelle se jouent des mottets toute la saison d’été ….