Des primaires aux présidentielles : retour sur un désastre

La maison Fillon a perdu l’élection imperdable. Le candidat du PS est devenu un petit candidat juste devant Nicolas Dupont-Aignan. Les deux grands perdants de l’élection de 2017 sont les deux grands partis de gouvernement qui se partagent le pouvoir alternativement depuis les débuts de la Vème République. Et cet échec intervient alors qu’ils avaient voulu se renouveler en ayant recours à la désignation populaire de leur candidat : l’élection primaire.
A grand renfort de débats télévisés, souvent de bon niveau, et de campagnes dynamiques, Fillon et Hamon avaient été élus haut la main par la partie la plus convaincue de la droite et de la gauche. Et que voyons-nous : l’élimination dès le 1er tour. Le raisonnement s’applique aussi à Europe-Ecologie-Les-Verts avec le gagnant de leur primaire qui a évité l’humiliation en se retirant de la course… pour rejoindre Hamon et son résultat…
Ce scrutin est l’échec complet des primaires. Échec déjà amorcé en 2012 avec la désignation de François Hollande aux premières primaires de l’histoire de France. Certes, Hollande avait gagné la présidentielle, mais son mandat fut un désastre tel qu’il ne se présenta même pas à sa succession… une première !
Mais faut-il en déduire que c’est le système des primaires qui est mis en échec ? Il y a bien sûr une multitude de facteurs, et les primaires ne sont pas les seuls responsables. Mais pour certaines raisons, elles ont permis la catastrophe.
Les primaires ont mobilisé leurs camps respectifs. La médiatisation fut importante et les débat télévisés ont permis à tous les candidats de s’illustrer. La désignation des candidats s’est faite directement par le coeur de l’électorat de ces partis et donc il n’y a pas eu le filtre de la direction de ces mouvements. Ainsi, les primaires de la droite ont désigné le candidat qui était le plus à droite, qui avait le discours le plus libéral économiquement, celui qui proposait le maximum de suppressions d’emplois publics, le plus austère, le plus favorable à ceux qui payent beaucoup d’impôts. Bref, François Fillon a très bien compris le coeur dur de l’électorat de droite et il leur a proposé un programme sur mesure. A cela s’ajoute une constante dénonciation des affaires et un discours très ferme vis à vis de la mise en examen qui, selon lui, crée une suspicion rendant impossible l’exercice du pouvoir, ce qui était parfait pour vaincre l’ancien condamné Juppé et le multi-mis en examen Sarkozy. Enfin, la micro-concession faite à Sens commun lui a valu le soutien de nombreux manifestants pour tous, soit plusieurs centaines de milliers de voix. C’est presque trop facile ! La droite libérale, conservatrice et excédée des affaires est le noyau dur de la droite et le plus motivé à voter aux primaires. Fillon l’a compris. Il a construit son programme pour eux et il a gagné avec 66,6% des voix.
Même raisonnement à gauche. Le noyau dur de l’électorat de gauche, celui qui défile le 1er mai et fredonne le temps des cerises n’a jamais aimé la ligne blairiste de Manuel Valls. Entre les lois Macron et El-Khomry, le socialiste historique ne se reconnaît pas dans le Hollandisme et il regarde vers les frondeurs. Montebourg aurait pu gagner, mais son style bourgeois l’a desservi. C’est Hamon avec son idée de revenu universel qui a gagné. Enfin une idée de gauche et surtout enfin une gauche de gauche qui apporte une nouvelle idée ! Bref, Hamon a su parler au coeur de la gauche, celle qui est motivée à voter aux primaires, et ce coeur est très à gauche, comme le programme d’Hamon.
Vous l’avez compris : pour gagner les primaires de droite il faut être le plus à droite, pour gagner les primaires de gauche, il faut être le plus à gauche.
Sauf que pour gagner une présidentielle, il faut rassembler la majorité des Français. Et pas seulement au second tour : dès le premier tour il faut un large rassemblement. Or ce ne sont pas avec des positions clivantes comme le remède de cheval que propose Fillon ou l’utopique revenu universel que propose Hamon qu’un candidat peut rassembler.
Ainsi, Marine Le Pen a considérablement élargi sa base électorale avec son travail de dédiabolisation et son discours social beaucoup à gauche que celui de Fillon. Le Pen a parlé et a été entendu par un public plus vaste que celui qui était acquis à son père.
Quant à Emmanuel Macron, sa position est celle du centre. Un centre à la fois libéral et social, un centre énergique et non mou comme son tempérament nerveux le démontre. Macron rassure car il nous montre à la fois une grande volonté de réforme et une certaine retenue. Or une élection présidentielle se gagne toujours au centre.
Le dernier point faible des primaires n’est pas le moindre : c’est celui de la pseudo-légitimité populaire.
Avec les affaires qui ruinaient ses chances de gagner, François Fillon a maintenu sa candidature, quitte à renier sa parole, accuser l’institution judiciaire et déclarer la guerre aux médias. Ainsi, Fillon a perdu l’élection imperdable. Si son camp avait désigné un plan B, les Républicains auraient sans doute gagné l’élection. Mais Fillon n’a pas cédé en invoquant la légitimité reçue des primaires. Accroché à ses 66,6% comme une huître à son rocher, il est allé droit à l’échec. Effectivement, un plan B était impossible à mettre en place. Refaire des primaires n’était pas envisageable dans ces délais, et prendre le second, Juppé, n’était pas faisable à cause de son score trop faible. Bref, le plébiscite des primaires était un cadeau empoisonné qui a pris en otage les Républicains. D’autant plus que cela a créé une scission entre la direction du parti et Fillon, tirant son autorité du “peuple de droite”. Fausse légitimité qui l’a certes connecté à la droite de la droite, mais qui n’a pas empêché la rupture avec le peuple, excédé par des affaires mettant en plein jour le décalage entre l’austérité proposée aux français, et l’absence d’austérité dans sa vie privée…
Même phénomène du côté socialiste : Benoît Hamon aurait pu renoncer à la présidentielle et rejoindre Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier aurait sans doute accédé au second tour face à Emmanuel Macron. Mais, plein de la légitimité du plébiscite, Hamon a aussi persévéré… Ce qui, là aussi, a créé une scission dans son parti : ceux qui sont partis chez Macron, et ceux qui sont tentés de partir chez Mélenchon. Bref, le PS ne semble pas avoir bien supporté les primaires.
Mais les partis ont la vie dure et ils n’ont pas encore dit leur dernier mot. Aux législatives, ce sont des Républicains libérés de François Fillon qui tenteront de relever la tête avec une nouvelle ligne plus proche de celles de Juppé et Sarkozy, c’est-à-dire avec un libéralisme plus modéré et moins antisocial. Ils tenteront de gagner et d’imposer une cohabitation, ou bien ils trouveront un accord de gouvernement avec En Marche. Quant au PS, les éléphants vont revenir à la charge notamment en négociant un accord gouvernemental avec En Marche, ou bien en sauvant un maximum de sièges pour constituer une opposition crédible… et faire oublier l’échec de Hamon. Bref : les partis feront tout pour survivre à ce qui a failli les tuer.
Et il n’est pas impossible qu’ils retiennent la leçon et laissent les primaires aux Américains.
Charles Vaugirard
Une réponse à “Des primaires aux présidentielles : retour sur un désastre”
Ce n’est pas tant le principe d’une primaire qui me semble condamnable, mais les modalités de la primaire en France qui ne respecte pas certains principes de la primaire US, notamment :
– une participation massive (70% des américains sont enregistrés comme républicains ou démocrates)
– une accumulation progressive de voix par votes successifs qui permet de faire emerger les candidats en filtrant progressivement les moins pertinents
– cette logique décourage les candidats principaux d’attaquer les petits candidats + les encourage à amender leur programme car ils doivent récupérer leur soutien et avoir un programme équilibré pour aller loin dans la course.