Urgence déminage à Ninive ! Interview de Faraj-Benoît Camurat de Fraternité en Irak

L’association Fraternité en Irak lance l’opération “Urgence déminage à Ninive” pour le déminage de la plaine de Ninive en Irak. Faraj-Benoît Camurat répond aux questions de Cahiers Libres :
CL : Il y a deux ans vous avez lancé l’opération « Urgence à Ninive ». Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Fraternité en Irak a tenté de mobiliser en 2014 autour de l’opération « Urgence à Ninive », à l’époque nous avons pu livrer 7 tonnes de médicaments et de compléments alimentaires spéciaux, équiper les enfants en habits chauds pour l’hiver et agir pour améliorer l’habitat des réfugiés. Aujourd’hui les conditions de vie des réfugiés se sont améliorées : ils habitent dans des caravanes de chantier, grâce à la Fondation Saint Irénée nous avons par exemple pu équiper chaque famille d’un réservoir pour ne pas manquer d’eau dans le camp d’Ashti. Mais malgré ces améliorations la réalité du quotidien dans un camp de réfugiés reste source de beaucoup de souffrances. Fraternité en Irak a déployé beaucoup d’énergie pour redonner du travail aux réfugiés. Aujourd’hui il y a deux boulangeries, une à Erbil l’autre à Zakho, des fabriques de crème de sésame, un atelier d’artisanat pour les femmes réfugiées et un atelier produisant des beignets irakiens à Al Qosh. Pour les réfugiés le temps est long, trop long. Cela fait deux ans qu’ils attendent que leurs maisons soient libérées. Pour certains une lassitude, une forme de fatigue dépressive s’est installée c’est humain. Mais dans le même temps je suis époustouflé par la force de vie d’un certains nombre de réfugiés qui ne veulent pas baisser les bras et se sont remis à travailler avec une énergie qui force l’admiration.
CL : Vous lancez maintenant l’opération « urgence déminage pour la plaine de Ninive ». De quoi s’agit-il exactement ?
Depuis que Daech a pris la plaine de Ninive en 2014 des petites zones ont été libérées. Pour commencer à réfléchir à la reconstruction de la plaine de Ninive nous nous sommes rendus dans ces zones libérées et là nous avons été confrontés à la dure réalité de la guerre : rien ne pouvait être reconstruit à cause de mines. Depuis ce triste constat nous nous sommes résolus à prendre ce problème à bras le corps. Les membres de Fraternité en Irak ont rencontré des spécialistes du déminage et après de longs mois de réflexion, de discussion nous sommes arrivés au projet qui va commencer. Ce projet vise à déminer deux villages chrétiens et quatre villages kakaïs. Cela peut sembler un peu tôt de commencer à déminer alors que toute la plaine de Ninive n’est pas libre, pourtant nous n’avons pas le choix. Le chantier du déminage de la plaine Ninive est d’une telle ampleur que tous les spécialistes sont unanimes : nous sommes déjà en retard. Le but de ce premier projet de déminage est évidemment que ces six premiers villages soient nettoyés de ces engins de mort. Mais à travers ce chantier nous espérons lancer la première étape du déminage de la plaine de Ninive. En effet, ces premiers villages vont permettre aux démineurs de mieux comprendre les techniques utilisées par Daech.
CL : Justement est-ce que vous pouvez-nous parler un peu plus des techniques de minage utilisées par Daech ?
Oui pour parler du déminage il faut distinguer trois degrés, trois situations. D’abord les munitions et tous les engins non explosés abandonnés ou à demi enterrés. Ensuite, il y a les mines, bien souvent produites artisanalement à très grand échelle par Daech. Enfin, il y a le plus compliqué à neutraliser, les pièges explosifs. Aujourd’hui désamorcer ces pièges explosifs nécessite d’avoir des démineurs très bien formés et aguerris. Parfois, un seul piège explosif est relié à deux ou trois autres charges qui peuvent se déclencher au moment du déminage. De la même manière, certains pièges explosifs vont se déclencher à distance : en ouvrant la porte d’une maison une charge explosive va se déclencher dans une autre maison à l’autre bout de la rue. Enfin, des systèmes d’explosifs en chaines ont été observés. Ce qui est très dangereux c’est que Daech a systématiquement miné des objets du quotidien, frigos, meubles ou détritus par exemple.
CL : Cela signifie qu’il ne sera pas possible pour des populations de revenir avant que le déminage soit terminé ?
Hélas, vivre au milieu de pièges aussi dangereux, même s’ils étaient tous repérés et signalés, serait suicidaire. Déjà douze membres de la minorité kakaïe, revenus prendre des meubles sont morts : ils ne sont pas revenus vivre dans le village, ils n’ont fait qu’y passer pour aller chercher des effets personnels. Le grand problème c’est que les mines classiques tuent elles aussi. C’est sur une mine enfouie dans la terre qu’un jeune chrétien de 14 ans, Eugène Salah Mikha a sauté. L’enjeu, c’est aussi de déminer les terres agricoles. La plaine de Ninive est une des régions les plus fertiles d’Irak, ses habitants vivaient en grande partie grâce à l’agriculture. Il va être nécessaire de mobiliser de grands moyens pour que les villages mais aussi toutes les terres agricoles soient déminés. Nous espérons que le projet que nous lançons actuellement va être le premier pas pour le déminage de la plaine de Ninive.
CL : Combien de temps va-t-il falloir pour déminer ces six premiers villages ?
Voilà une question difficile. L’opérateur en déminage réalise une estimation de la concentration de mines et de pièges dans une zone donnée. Néanmoins, lorsque les démineurs commencent à déminer un périmètre il est très compliqué pour eux de savoir exactement ce qu’ils vont trouver. Pour donner un ordre de grandeur, en fonction de la densité de piégeage, pour un village de 400 habitants il faut compter presque deux mois de travail pour deux équipes d’une quinzaine de personnes.
CL : Pourriez-vous nous parler de l’ONG de déminage qui va déminer ces villages ?
Pour des raisons de sécurité évidentes nous ne pouvons pas donner le nom des villages et l’ONG en question ne souhaite pas non plus que nous communiquions son nom. Il faut réaliser que ces démineurs pour sauver la vie des populations civiles vont eux même prendre de vrais risques. Il est nécessaire que nous soyons très prudents dans notre communication à leur sujet. Pour vous en dire plus au sujet de cette ONG, je peux vous dire qu’elle emploie notamment d’anciens militaires du génie et est présente depuis une quinzaine d’années en Irak et a déjà formé plusieurs centaines d’irakiens.
CL : Aujourd’hui si vous deviez résumer « Urgence déminage pour la plaine de Ninive » en une ou deux phrases que diriez-vous ?
Sans déminage, aucune reconstruction et aucun retour de la vie ne sera possible dans la plaine de Ninive. Cela va prendre du temps, c’est un travail difficile mais c’est un travail qui sauve des vies et qui permettra peut-être à des centaines de personnes de ne pas perdre un membre ou d’être défigurées. N’hésitez pas à parler de ce projet autour de vous !
Propos recueillis par Charles Vaugirard
Une réponse à “Urgence déminage à Ninive ! Interview de Faraj-Benoît Camurat de Fraternité en Irak”
Merci pour cette interview qui montre la quotidien à la fois des réfugiés, d’un pays en guerre, d’une ONG et d’une mission de déminage. Depuis la France il est difficile de comprendre ce qui se vit dans ces pays lointains.