Salutaire Limite

« Lorsqu’on a découvert que Limite était aussi une société de magasine porno, on s’est dit qu’on avait vraiment choisi le bon titre ». Les premières lignes de l’édito de la nouvelle « revue d’écologie intégrale », Limite, donnent le ton : ça va bousculer. Maquette pop-art, titres chocs (« Comment baiser sans niquer la planète », par Marianne Durano, « Apôtre chez les bourgeois », dossier de Paul Picarreta, « C’est la taille qui compte », entretien avec Olivier Rey…), ce premier numéro détonne dans les librairies et n’a pas fini de faire parler de lui.
Les quatre mousquetaires aux manettes de ce projet (Paul Picarreta, Eugènie Bastié, Camille Dalmas et Gaultier Bès, épaulés par un conseil de rédaction de choc : Fabrice Hadjadj, Jacques de Guillebon, Falk Van Gaver…), ainsi que leurs collaborateurs, ne recherchent pas la provocation stérile. Leur ambition est de pousser les lecteurs à réfléchir au-delà des réflexes politiques traditionnels. Ils font la peau aux vieux clivages, sans complexe, pages après pages. Non par la table rase, mais « en jetant des ponts entre différentes traditions de pensées » 1« Nous sommes malades », p.17.
On y loue le christianisme social en chantant la commune
Leurs positions sociales énervent les uns, l’inspiration chrétienne achèvent les autres. Le terreau écologique surprend. C’est un secouage de prunier pour une récolte intellectuelle. Du vent dans les bronches de « ce consommateur qui souhaite une boutique pour chaque plaisir, une technique pour chaque désir, et la loi pour le bénir » 2Edito, p.3.
Dans ce premier numéro consacré au sujet sensible de la décroissance (« décroissez et multipliez-vous ! », affiche la Une), on y loue le christianisme social en chantant la commune, on tue le neomalthusianisme qui voudrait faire porter aux mères de famille le péché du grand capital, on réhabilite la régulation naturelle des naissances – et la théologie du corps de Jean-Paul II par la même occasion ; on y parle de paysans, on s’attaque, par la voix de théologiens, à l’anticléricalisme de nombreux écologistes… « Ceux qui se sont assis un soir avec les veilleurs y trouveront la même profondeur et la même gravité, ceux qui ont dévoré la dernière encyclique de François la même petite musique pastorale, les autres, enfin, les pelés, les galeux qui roulent en diesel, aiment le macadam, confondent la COP21 et le Get 27 et persistent à croire que la croissance est le propre de toute existence humaine (quand elle n’est pas l’expression terrestre de l’espérance chrétienne) goûteront tout de même à l’énergie et au talent de ces jeunes lions », résume Vincent Tremolet de Villers, du Figaro, dans une recension plus honnête que d’autres tentées par ailleurs 3Article du Figaro à lire ici. Raillerie de Libération par ici..
“On va toujours plus vite, plus loin, plus haut. Et l’on oublie que la grande difficulté est de marcher à la bonne vitesse”
Leur ruade part du constat d’une société saoule et désorientée, qui s’oublie dans une course au progrès sans fin. « En-dessous de moi, il n’y a plus ni singe, ni vipère, ni moustique, ni amibe. Au-dessus de moi, il n’y a plus ni ange, ni trône, ni domination, ni Dieu. Au milieu de moi, il y a quoi? De l’homme, mais je n’en suis plus vraiment sûr », médite Jacques de Guillebon4« Fond d’écran », p. 96. Mais plutôt que de désespérer d’un monde qui ne leur convient pas, ils préfèrent le mettre en branle.
A l’heure des infos en avalanches et des indignations dégainées à la vitesse d’un tweet, cette « revue de combat culturel » entre en résistance contre la pensée fainéante. Ne serait-ce qu’en acceptant le défi d’une publication sur du vrai papier. Avec la volonté de prendre son temps, pour mieux tenir sa place dans le monde. Pour mieux « être là », comme l’écrit Hadjadj dans les premières pages, justifiant le titre de la revue et enracinant par la même occasion Limite en une terre féconde :
« On va toujours plus vite, plus loin, plus haut. Et l’on oublie que la grande difficulté est de marcher à la bonne vitesse. Le capitaine au long cours veut que son vaisseau arrive à bon port, et non dix lieues au-delà. La mère de famille veut que son fils atteigne la bonne taille, et non qu’il grandisse toujours davantage, s’excluant de ses frères, la tête dans l’irrespirable et le corps s’effondrant sur son propre poids. Certes, il convient d’applaudir aux exploits du sprinter Usain Bolt, du nageur, Michael Phelps, du sauteur Félix Baumgartner et même du policier Robocop. Mais il faut admirer plus encore celui qui court exactement comme il faut pour être à l’heure à la sortie de la crèche; celui qui fait la planche au soleil en psalmodiant “Monstres marins, tous les abysses, louez le Seigneur”; celui qui fait son métier de gendarme en se sentant désarmé. En un mot, il est aussi facile d’être un surhomme que de rater sa cible. La grande difficulté n’est pas d’aller au-delà, mais d’être là »5« De la croissance à la croix, contre une immaturité sans fin », p.4.
Joseph Gynt
Limite. Revue d’écologie intégrale (trimestriel). N°1 : Décroissez et multipliez-vous !
En vente 12 euros chez votre libraire ( souvent à commander, via Place des libraires par exemple).
Toutes les informations utiles sur le site des Editions du Cerf,
ou sur le site officiel revuelimite.fr.
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | « Nous sommes malades », p.17 |
2. | ↑ | Edito, p.3 |
3. | ↑ | Article du Figaro à lire ici. Raillerie de Libération par ici. |
4. | ↑ | « Fond d’écran », p. 96 |
5. | ↑ | « De la croissance à la croix, contre une immaturité sans fin », p.4 |
Une réponse à “Salutaire Limite”
[…] La revue Limite, cf. notre article “Salutaire limite“. […]