Les saints de la République

N’en déplaise à notre gouvernement, l’apprentissage du latin et du grec a ce grand mérite de nous aider à comprendre les mots que nous utilisons. Par exemple le mot “Panthéon” que le Président de la République a mis à l’honneur hier, en inhumant au sein de cet illustre édifice quatre grandes figures nationales.
Que signifie “Panthéon” ? Du grec pántheion (πάνθειον), Panthéon veut dire “de tous les dieux”. Il désignait dans l’antiquité l’ensemble des dieux d’une religion polythéiste, mais aussi le temple dédié à toutes ces divinités. Le Panthéon le plus célèbre est celui de Rome, qui devint au VIIe siècle une église et qui abrita dès le XVIe siècle les tombes d’hommes illustres. Plus récemment, il a accueillis les corps des rois d’Italie. Il est toujours une église.
Je ne reviendrai pas sur l’enseignement du latin et du grec, mais sur l’autre question posée par l’actualité : le paradoxe et le sens du Panthéon de Paris.
Notre République se veut laïque, or elle a un temple qu’elle nomme Panthéon… Un temple à tous les dieux ?
Le Panthéon est un souvenir révolutionnaire : l’église Sainte Geneviève était en construction. Un superbe édifice conçu par Soufflot. Alors qu’il est inachevé et non encore consacré, l’Assemblée nationale de 1791 1Le pays était encore en monarchie. a décidé d’en faire un temple dédié aux grands hommes qui ont servi la France. Il se réfère au Panthéon de Rome sauf qu’il ne deviendra pas une église.
Passons sur les aléas de l’histoire du Panthéon qui devint au XIXe tantôt une église, tantôt un Temple aux grand hommes et dont il reste encore une croix. Le Panthéon est actuellement conforme à ce que voulaient en faire les hommes de 1791.
Il est donc ce lieu de culte républicain ou la République canonise, pardon, panthéonise ses saints, ses héros.
Nous ne sommes pas loin d’un catholicisme sans Dieu ni clergé avec le rite de la panthéonisation : le grand Pontife de l’Élysée dit une homélie tirant un enseignement de la vie de nos héros. Une chorale chante des louanges à la République. Les reliques des héros sont portés religieusement dans leur sanctuaires. Et que faire quand les familles veulent garder les corps ? Alors on prélève la terre de la tombe et on en remplit un cercueil. C’est ce qui a été fait avec Geneviève Anthonioz De Gaulle et Germaine Tillion. La République a donc repris de l’Église catholique le principe des reliques de troisième degré : des objets qui ont été en contact avec un autre objet lui-même en contact du corps du saint.
La République a ses saints, tout comme l’Église.
Il s’agit bien là d’un culte national. Cette religion civile du Panthéon avait fait dire à Frédéric Ozanam, en 1831 2Frédéric Ozanam, lettre à sa mère, 7 novembre 1831. :
“J’ai vu le Panthéon, singulier monument, temple païen au milieu d’une ville dont tous les habitants sont chrétiens ou athées, coupole magnifique, veuve de la croix qui la couronnait si bien 3En 1831 elle n’avait pas encore de croix. Elle date du Second Empire., superbe façade dont la couleur sombre indique une origine bien antérieure à son extravagante destination. Que signifie, en effet, un tombeau sans croix, une sépulture sans pensée religieuse qui y préside ? Si la mort n’est qu’un phénomène matériel qui ne laisse après lui aucune espérance, que veulent dire ces honneurs rendus à des os desséchés et à une chair qui tombe en pourriture ?”
Paroles interrogatives qui posent la question du sens d’un culte purement horizontal, sans perspective surnaturelle. Et il conclu par ces mots terribles :
“Le culte du Panthéon est une véritable comédie comme celui de la Raison et de la Liberté. Mais le peuple a besoin d’une religion, et, quand on lui a ôté celle de l’Évangile, force est bien de lui en fabriquer une autre, fût-ce au prix de la folie et de la bêtise.”
Ozanam a raison, les hommes ont besoin d’adorer, de vénérer, de rendre un culte. L’homme est un animal religieux, qu’on le veuille ou non.
Mais faut-il balayer d’un revers de main le Panthéon et son culte républicain ? Certainement pas. Le Panthéon reste le monument du souvenir des héros de notre pays, de nos grands hommes. Le martyr de Jean Moulin, l’œuvre de Victor Hugo, le génie de Marie Curie, sont honorés ici parmi tant d’autres figures.
Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz De Gaulle ont connu la déportation et ont ensuite été des personnalités exemplaires de notre pays. Pierre Brossolette et Jean Zay ont été martyrisés par les nazis et leurs complices pour avoir dit non au IIIe Reich.
Leur donner les honneurs du Panthéon, c’est rendre hommage a ce que la France fait de meilleur. C’est une occasion de fierté, mais aussi d’enseignements à tirer pour l’avenir.
Le Panthéon n’est pas qu’un temple républicain : c’est surtout un lieu de mémoire qui nous présente un des plus beaux visages de la France.
Charles Vaugirard
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Notes :
1. | ↑ | Le pays était encore en monarchie. |
2. | ↑ | Frédéric Ozanam, lettre à sa mère, 7 novembre 1831. |
3. | ↑ | En 1831 elle n’avait pas encore de croix. Elle date du Second Empire. |
Une réponse à “Les saints de la République”
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