Haïti : entre faux pas et poignées de mains

La tentation est grande de réduire le voyage officiel de François Hollande a deux faux pas : le malentendu au sujet de la dette de la France envers Haïti et la marche qu’a loupé le Président Français en rejoignant l’estrade officielle sur le Champs de Mars de Port-au-Prince. L’un fait grincer les dents, l’autre fait rire jaune.
Cette tentation passée, il est bon d’aller au coeur de cet évènement qu’a été la première visite officielle, et la deuxième visite stricto sensu, d’un Président Français en Haïti.
Le contexte des relations franco-haïtienne n’est pas quelque chose de simple. Haïti est une ancienne colonie française autrefois nommée Saint Domingue, une des premières colonies de l’Histoire de France. Conquise des espagnols à l’aide de pirates, elle était l’une des plus prospères grâce à la culture de la canne à sucre. Mais surtout, la richesse de la Perle des Antilles reposait sur la traite des noirs et l’esclavage : la majeure partie de la population était noire, travaillant comme esclave pour des colons français.
Haïti a obtenu son indépendance en 1804, suite à un révolte d’esclaves menée par Toussaint Louverture puis par Jean-Jacques Dessalines. Napoléon a connu là sa première défaite.
Le premier Etat né d’une révolte d’esclaves
Haïti est sans doute le seul Etat au monde a être né d’une révolte d’esclaves. Et le peuple haïtien est le seul, avec le peuple hébreux, a avoir gagné sa liberté contre un système esclavagiste. C’est une réalité puissante que l’on a trop tendance à oublier aujourd’hui.
“La France n’a pas laissé ici que de bons souvenirs” disait Nicolas Sarkozy lors de sa première visite. Cela est juste : la France de l’Ancien régime a créé une société d’esclavage à Saint Domingue et dans les autres territoires français d’Amérique. Elle achetait les esclaves en Afrique pour les faire travailler en Amérique. Ce commerce triangulaire et cette société injuste ont été un des crimes de notre histoire et reste une blessure pour la nation haïtienne. A cela s’ajoute la violence de la répression des révoltes d’esclaves et l’horreur de la guerre pour rétablir l’esclavage qu’a mené Napoléon alors que la servitude avait été abolit par la révolution. Enfin, le roi Charles X a accepté de reconnaître l’indépendance d’Haïti en imposant au nouvel Etat de payer la sommes de 150 millions de franc or pour dédommager les colons. Haïti a mis des decennies pour payer cette dette, et son développement en a été fortement affecté.
Il est légitime de reconnaître ses torts. Dire cela n’est pas “battre sa coulpe” ni faire preuve de “haine de soi” comme Eric Zemmour l’affirme. Au contraire, il est juste de regarder notre histoire en face pour aller de l’avant. En l’occurence, pour pouvoir construire une amitié durable et fructueuse avec Haïti. Mais une fois la vérité historique assumée et la réconciliation scellée il faut aller de l’avant. “On ne peut plus refaire le passé, mais on peut construire l’avenir” comme le résume le Président Français.
Le faux pas de François Hollande a résidé dans cette annonce à Pointe à Pitre : «Eh bien, quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons». Or, il n’était pas question d’un remboursement de la dette, juste d’une “dette morale” justifiant une coopération entre nos deux pays. Il s’agit d’une boulette bien réelle car la question du remboursement de la dette de Charles X est un sujet politique important, et l’ancien Président Aristide réclamait cette dette, et ses intérêts, à la France.
Au-delà du faux pas, il faut voir dans cette visite une authentique poignée de mains. La France est venue avec un programme de coopération centré sur l’éducation et le développement économique. François Hollande a bien fait de rappeler ce que le Président d’Haïti Michel Martelly répète sans cesse : “Haïti ne veut plus de l’assistance mais des investissement économique”. Fini l’assistanat, place au business, au travail et donc au développement économique. L’idée est juste, c’est peut-être la seule qui puisse sauver Haïti de la misère qui la ronge.
Toussaint Louverture et Dessalines
Il faut signaler aussi le puissance des symboles mis en avant par le gouvernement haïtien. La figure de Toussaint Louverture a été mis en avant, la tribune du Champs de Mars se trouvant face à la statue du précurseur de l’indépendance d’Haïti. Quelques mois avant, le Président Martelly avait visité en France le Fort de Joux où Toussaint Louverture a été retenu en captivité par Napoléon Bonaparte. La figure de Toussaint est reconnue par tous comme un prédécesseur de Nelson Mandela tant sa politique s’appuyait sur l’égalité et la concorde entre noirs, métis et blancs. Ainsi, il est un père de la Nation Haïtienne qui peut servir de modèle politique à tous les pays.
Mais ce choix est contesté par des haïtiens, par exemple l’opposant au Président Martelly Moïse Jean-Charles ou encore l’écrivain Lyonel Trouillot. Pourquoi ? Dessalines est le premier chef d’état de l’Haïti indépendante, sous le titre d’Empereur Jacques 1er. Lyonel Trouillot explique : “Le traitement de la figure de Jean-Jacques Dessalines, fondateur de l’État haïtien, dans l’historiographie française, marqué par le silence ou l’injure, témoigne de cette difficulté de comprendre Haïti. La France a joué Toussaint Louverture contre Dessalines. L’un est devenu, longtemps après sa mort, un général français et martyr de la liberté. Une figure acceptable, inscrite au panthéon. L’autre n’est toujours pas reconnu pour ce qu’il fut, l’un des premiers dirigeants politiques de l’Amérique postcoloniale et le symbole de la rupture avec l’inacceptable. Nier Dessalines ou le banaliser, c’est nier et banaliser la naissance d’Haïti à elle-même.”
Les propos de Lyonel Trouillot témoigne de la difficulté de notre regard de Français sur l’histoire d’Haïti. Mais Lyonel Trouillot oubli un fait important qui rend difficile voire impossible un hommage de Dessalines par la France : Jean-Jacques Dessalines a été l’auteur d’une terrifiante épuration ethnique en 1804, dès qu’Haïti est devenue indépendante. Les blancs restés sur l’île ont été exterminés. Ce massacre a compté entre 3000 et 5000 victimes, hommes, femmes et enfants.
Les massacres de 1804 sont une tâche sanglantes sur le blason de Jacques 1er. Un tel personnage peut-il être mis en avant devant le Président Français ? Difficile de répondre. Mais peut-on faire l’impasse du premier chef d’état, et donc véritable père politique, d’Haïti ? La question est complexe et l’interrogation de Lyonel Trouillot se comprend.
Cette question difficile a l’intérêt de nous mettre devant une réalité : l’amitié franco-haïtienne ne peut se construire durablement que sur le pardon. Un pardon réciproque où chaque camps reconnaît ses torts. J’ai bon espoir, l’amitié franco-haïtienne est bien avancée et la réconciliation est déjà une réalité concrète.
Charles Vaugirard
Une réponse à “Haïti : entre faux pas et poignées de mains”
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