Consacrés dans la vérité

Jésus-Christ, Les Apôtres – Georges Rouault
« A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père. » Dans l’Evangile de ce jour, le Seigneur Jésus prépare ses disciples à son passage vers le Père. L’heure dont il ici est question n’est pas selon le mot de saint Augustin « une heure imposée par une puissance inéluctable (…) il s’agit d’une heure marquée par lui-même, dans le temps, de concert avec le Père dont il était né avant tous les siècles.[1]»
« Les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes… » Comme lors de l’enseignement du Pater ou lors d’autres moments clés de sa vie publique comme la résurrection de Lazare, l’agonie à Gethsémani…, l’Evangile fait de nous les témoins de la prière que Jésus adresse à son Père. Dans quel but le fait-il ? A cette question saint Augustin répond que Jésus voulait « fortifier par sa prière les instructions qu’il avait données à ses disciples[2]. » En outre, l’évêque d’Hippone d’ajouter : « Il ne veut pas oublier qu’il est notre Maître ; et c’est pourquoi il fait sa prière à haute voix, pour nous instruire et nous édifier, non seulement par les paroles qu’il nous adresse, mais encore par la prière qu’il adresse à son Père[3]. »
Saint Augustin de poursuivre en disant que « l’homme Jésus prie Dieu pour ses disciples, qu’il a reçus de Dieu (…) ‘Pour qu’ils soient un comme nous.’ Qu’ils soient un dans leur nature, comme nous sommes un dans la nôtre. Ce qui, pour être vrai, exige que Jésus ait parlé comme ayant la même nature divine que son Père… » Cette prière révèle l’intimité de Jésus avec Dieu son Père et sa divinité.
Unité des disciples
Avant que ses Apôtres ne vivent l’épreuve de la Passion et en vue du temps de l’Eglise, le Seigneur veut les garder dans une unité d’esprit et de volonté. Saint Clément d’Alexandrie enseigne à ce sujet : « Si l’on pense que cette unité des disciples est conforme à celle du Père et du Fils, qui n’est pas seulement l’unité de leur nature divine, mais l’unité parfaite de leur volonté, il est permis de le croire, que les disciples n’ont qu’une seule nature sainte et une même volonté[4]. »
«J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie. Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » Comme nous le disions dimanche dernier, le secret pour demeurer dans l’amour du Père est d’imiter le Fils en gardant « fidèlement les commandements ». A la fidélité, si difficile à vivre, est liée la promesse de la joie. C’est ainsi que Jésus dit à chacun de nous : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie.» C’est à notre fidélité à Dieu et à ses commandements que nous serons reconnus comme étant ses disciples.
Les enseignés de Dieu
« Je leur ai fait don de ta parole… » Comme le remarque saint Cyrille d’Alexandrie : « Il convenait que dans nos rapports avec Dieu, nous ne fussions instruits, ni par un ange, ni par un envoyé de Dieu, mais par le Fils de Dieu lui-même, afin que nous fussions véritablement, comme l’annonçait un prophète, les enseignés de Dieu[5]. » Jésus est le Verbe éternel, la Parole du Père. Il est celui qui fait toute chose nouvelle. En s’incarnant le Logos est venu mettre de l’ordre dans le chaos de la création blessée par le péché. Par sa Passion et sa Résurrection il nous a obtenu le salut. Par le baptême il a fait de nous des fils de Dieu capables de donner à Dieu le nom de Père… Par la confirmation, le don de l’Esprit Saint, il a fait de nous ses témoins. Voilà pourquoi, Jésus dit à propos de ses disciples de tous les temps : « Le monde les a pris en haine parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi je ne suis pas du monde. »
En effet, par sa vie le disciple du Seigneur manifeste au monde les droits de Dieu et ceux des hommes contre lesquels aucune loi ne prime. Il sait que l’homme est créé à l’image et comme à la ressemblance de Dieu, c’est pourquoi il défend la vie humaine à toutes ses étapes depuis son début jusqu’à sa fin naturelle.
La doctrine sociale de l’Eglise enseigne que les droit inhérents à notre humanité qui permettent le développement harmonieux de l’homme dans tout ce qu’il est sont : la liberté de conscience, la liberté de croire et de pratiquer sa religion, le droit à un salaire et à un logement décent pour faire vivre une famille, le droit à un enseignement conforme à la raison…
En ces temps où la vision de l’homme est de plus en plus mercantile, où les personnes handicapées, malades, incurables, âgées… sont vues comme « un déchet », selon le mot du Pape François, les disciples du Christ prennent de plus en plus conscience de la difficulté de ne pas être du monde…
Mise à part du monde, consécration à Dieu
Pourtant cet Evangile est un encouragement et une consolation. En effet, il est doux de comprendre que nous sommes au cœur de la prière du Seigneur. Ne demande-t-il pas au Père : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité » ?
Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? En s’incarnant le Verbe éternel s’est fait l’un de nous. En offrant sa vie sur le bois de la Croix à Dieu son Père en rançon pour notre salut, il s’est consacré et nous a consacrés. En permettant à son Eglise d’offrir en tout temps l’unique sacrifice de son Corps et de son Sang il nous associe à sa consécration. Benoît XVI dit que l’offrande mise à part ou consacrée à Dieu, « est élevée jusqu’à une nouvelle sphère qui n’est plus à la disposition de l’homme[6]… » Pour autant, toujours selon le Pape émérite : « Cette séparation inclut en même temps, essentiellement le “pour”. Justement parce qu’elle est donnée totalement à Dieu, cette réalité existe maintenant pour le monde, pour les hommes, elle les représente et doit les guérir. » Autrement dit, c’est parce qu’il s’est fait homme que Jésus peut nous inclure dans sa consécration, dans le don de lui-même à Dieu et c’est ainsi qu’il nous obtient le salut et nous y associe.
Lorsqu’il dit que nous ne sommes pas du monde, il ne veut pas dire que nous avons à fuir le monde, mais qu’en essayant de vivre les commandements de Dieu et la loi de l’Esprit nous sommes comme « mis à part ». Cette mise à part, cette consécration à la vérité, c’est à dire à Dieu lui-même manifeste notre désir d’être toujours plus unis à lui pour vivre notre mission de chrétien dans le monde. C’est ainsi qu’avec Benoît XVI nous pouvons dire que « séparation et mission forment une unique réalité complète. » La séparation ou consécration à Dieu nous permet de vivre en plénitude notre vocation de baptisés.
Enfin en nous nous souvenant cette parole du Seigneur : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie… » nous comprenons que le témoignage que nous rendons au Christ par amour de lui, pour notre salut et pour celui du monde, n’est pas sans risque… mais que nous sommes entre ses mains et qu’il a vaincu le monde… En ces jours qui nous séparent de la Pentecôte prions le Père et le Fils qu’ils nous envoient l’Esprit Saint qui nous « introduira dans la Vérité toute entière ».
Bon dimanche à tous.
Pod
[1] Tractatus in Johannis evangelium, CIV 2.
[2] Idem.
[3] Ibidem.
[4] Commentaire de l’évangile selon saint Jean, XI 9.
[5] Commentaire de l’évangile selon saint Jean, XI 8.
[6] Joseph Ratzinger/Benoît XVI, Jésus de Nazareth, éditions du Rocher, 2011, p. 108 à 110.
Une réponse à “Consacrés dans la vérité”
[…] effet, comme nous le disions la semaine dernière, le disciple du Christ a reçu comme mission de manifester au monde par toute sa vie non seulement […]