Clé de lecture de l’Évangile selon Saint Jean : Marcher dans la lumière

Saint Jean est à l’honneur dans la liturgie du temps de Pâques, puisqu’il est lu chaque jour à partir du 4ème Dimanche de carême, et jusqu’à la Pentecôte.
C’est l’occasion de dire quelques mots sur cet Évangile fascinant, d’apparence simple, mais si l’on comprend les mots et les phrases, le message profond nous échappe souvent. En effet, bien souvent, Jean dit plus que la phrase comprise dans son sens le plus littérale. « Donne-moi à boire » dit-il à la Samaritaine à côté du puits de Jacob, mais très vite la suite du récit nous fait comprendre que l’eau dont il parle, ce n’est pas seulement le composé chimique H2O.
Pour s’y retrouver, il faut d’abord dégager la structure générale. Deux parties principales se laissent aisément distinguer :
- Jn 1-12 : six signes donnés par Jésus pour croire
- Jn 13-21 : le commandement de l’amour et le septième signe, la mort et résurrection de Jésus.
La colonne vertébrale de l’Évangile est constituée des sept signes, en voici la liste :
- l’eau changée en vin à Cana (Jn 2,1-12)
- la guérison du fils du fonctionnaire royal à Cana à nouveau (Jn 4,46-54)
- la guérison de l’infirme des piscines de Bethesda (Jn 5)
- la multiplication des pains (Jn 6)
- la guérison de l’aveugle-né (Jn 9 ; cf. Jn 7-10)
- La résurrection de Lazare (Jn 11)
- La mort et la résurrection de Jésus (Jn 18-21)
Ma conviction est qu’une clé de lecture simple permet de relier entre eux les différents signes opérés par Jésus, de sorte qu’apparaît le fil rouge du récit évangélique. Celle-ci est donnée dans la première épître de Jean : « Dieu est lumière […] si nous marchons dans la lumière […] le sang de Jésus nous purifie de tout péché. » (1 Jn 1,5-7)
Le boiteux et l’aveugle
L’expression « marcher dans la lumière » renvoie aux signes 3 et 5, deux miracles semblables de Jésus. Ils sont localisés près d’une piscine de Jérusalem, la première est au nord du Temple (Bethesda), et la seconde au sud (Siloé), ils se passent tous deux à Shabbat, et ils sont construits de manière semblable : un individu qui ne demande rien est guéri par le Christ qui disparaît, discussion avec les autorités juives, et peu après Jésus le retrouve dans le Temple.
Nos deux infirmes de Jn 5 et 9 qui n’avaient pas le droit de pénétrer dans le Temple (cf. 2 S 5,8) ont été rendus par Jésus à leur pleine dignité de fils d’Israël. Et là, dans le Temple, ils reconnaissent Celui qui les a sauvés. Le Temple de Jérusalem symbolise cette Alliance entre Dieu et Israël, que Jésus vient renouveler, élever par le don de la Foi.
Les deux institutions juives du Temple et du Shabbat sont liées, non seulement ici par Jean, mais dans la Torah et la tradition juive. Sans entrer dans de longs développements, qu’il suffise de mentionner que les Rabbins ont déduits de la Parole de Dieu que les travaux interdits le jour du Shabbat sont précisément ceux qui ont été nécessaires à l’érection de la Tente de la Rencontre. Le Sanctuaire comme le Shabbat sont donnés à Israël pour qu’il partage le repos de YHWH (cf. Ps 132,14). Il est tout à fait significatif que nos deux hommes aient reçu à Shabbat la possibilité de « marcher dans la lumière » et l’accès au Temple, à l’Alliance.
Il y a autour du thème du Shabbat quelque chose à creuser, comme le montrent les messages donnés par Jésus à l’occasion de ces deux signes :
- signe n°3 : « Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent et j’œuvre moi aussi. » (Jn 5,17)
- signe n°5 : « Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé ; la nuit vient, où nul ne peut travailler. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » (Jn 9,4-5)
Jésus explique ici que son œuvre est à comprendre en lien avec celle de Dieu son Père, qui ne cesse jamais son travail de Créateur et Sauveur. En revanche – c’est le 2ème message – l’homme est appelé à cesser son travail, quand il fait nuit, quand il n’a plus la lumière. Il y a donc bien un Shabbat, un appel à cesser le travail, et il commence quand vient la nuit.
L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez
Mais quel est ce travail qu’il s’agit d’arrêter à la fin du jour ?
- signe n°4 : « Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, […] L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » (Jn 6,27-29)
Le travail dont Jésus parle, et auquel l’homme est appelé à consacrer sa vie, c’est la foi, qui est simultanément œuvre de Dieu et œuvre de l’homme. Ce chapitre 6 où Jean développe le mystère de l’Eucharistie est narrativement encadré par les récits des guérisons de l’infirme (Jn 5) et de l’aveugle (Jn 7-10), de même que le Temple de Jérusalem est topologiquement encadré par ces deux mêmes récits. Quelle magnifique manière de suggérer que la promesse contenue depuis Moïse et David dans le Sanctuaire et le Shabbat sera accomplie dans le Pain de vie, par lequel Dieu et l’homme demeurent l’un dans l’autre (cf. Jn 6,56) !
Le discours de Jésus pour la résurrection de Lazare ne nous éloigne pas de notre thème :
- signe n°6 : « N’y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche le jour, il ne bute pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais s’il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n’est pas en lui. » (Jn 11,9-10)
La comparaison de ce verset avec les précédents permet d’identifier les expressions ‘travailler pour la foi’ et ‘marcher’, et la nouveauté est cet avertissement : la nuit venue, vous qui seriez tentés de quand même marcher, attention ! vous risquez de trébucher, vous n’avez pas la lumière en vous, mais vous la recevez de Jésus.
Marcher dans la lumière n’est donc pas d’abord l’acte de l’homme, mais le don de Dieu, et Lazare est là pour nous le montrer avec éclat, puisqu’en Jn 11,44, le récit nous dit qu’à l’appel de Jésus « le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d’un suaire. » La foi, comme la vie est un don de Dieu.
Saint Pierre ou comment faire le mal avec de bonnes intentions
Ce dernier signe est éclairant quant à la condition de l’homme : non seulement il est mortel, mais surtout il n’a pas la lumière en lui, il est dépendant de « la lumière qui vient dans le monde » ; il est tellement fréquent de se comporter comme si l’on pouvait s’en sortir tout seul, au point même de penser que ce serait une faiblesse d’attendre quelque chose d’ailleurs. Et pourtant c’est « celui qui agit en Dieu » qui « vient à la lumière », alors que « celui qui commet le mal » fait partie de ceux qui ont « préféré les ténèbres à la lumière. » (cf. Jn 3,19-21)
Celui dont les œuvres sont mauvaises, c’est celui qui n’agit pas en Dieu, ce n’est pas nécessairement celui qui commet des actes méchants. L’apôtre Pierre en fournit une illustration éclairante.
Lors du dernier repas, Jésus venait de dire à Pierre : « où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant » (c’est-à-dire : tu m’as suivi fidèlement jusqu’à ce jour, mais maintenant c’est la nuit, ne t’obstine pas à vouloir marcher sans lumière), mais celui-ci lui répond : « je donnerai ma vie pour toi » ; « Tu donneras ta vie pour moi ? Amen je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. » (Jn 13,36-38) Notre prétention de vouloir « aider Dieu à sauver le monde » se transforme si facilement en agir contre Dieu…
« Sans moi vous ne pouvez rien faire », dit Jésus à ses disciples (Jn 15,5), dans l’allégorie de la Vigne, où il dit à ses disciples « demeurez en moi » : il y a un temps pour marcher et un temps pour s’arrêter… C’est le temps pour demeurer dans l’amour de Dieu.
Le grand jour du Shabbat
Il est désormais temps de dire un mot sur le dernier signe, celui vers lequel tendent tous les autres.
Le dernier mot de Jésus avant de mourir sur la croix est « c’est achevé » (Jn 19,30), est un écho à l’achèvement de la création (cf. Gn 2,1-4a). Le dernier signe est donc encore donné à Shabbat, et c’est celui du côté ouvert par la lance, d’où il est sorti du sang et de l’eau : la solennité avec laquelle l’Evangéliste témoigne de cela en protestant de la vérité de ce qu’il atteste (cf. Jn 19,35) indique bien que c’est là qu’il faut chercher le point fondamental de ce septième signe.
Ce Shabbat était un « grand jour » (Jn 19,31) qui renvoie au « grand jour » de la fête des Tentes, où Jésus avait déclaré : « si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi, et il boira celui qui croit en moi » (Jn 7,37-38)
En résonnance avec son dialogue avec la Samaritaine, Jésus a montré sur la croix qu’il a soif de la soif des hommes (cf. Jn 19,28), soif de cette eau qu’on lui apporterait pour qu’il la change en vin. Le 2ème signe de Cana fournit une illustration de ce que représente cette eau que Jésus attend de nous : la foi, comme celle du fonctionnaire royal qui croit déjà sur la parole du Maître, et pour s’affirmer après l’exaucement (cf. Jn 4,46-54 et 20,29).
Conclusion : la vie éternelle
Tout ce développement permet de saisir ce qu’est la vie éternelle. Tant que le disciple marche à la suite de Jésus, la Vie est pour lui une réalité future, mais quand il est établi dans la demeure de Dieu, quand il a accueilli les ténèbres au sein desquelles la lumière de Dieu est cachée, il est en quelque sorte sous la croix et s’abreuve au fleuve de Vie qui coule de son cœur. Sa foi et son amour ne sont plus son œuvre, mais l’œuvre de Dieu en lui. « Celui qui croit a la vie éternelle. » (Jn 6,47) Voilà notre vocation chrétienne… rien de moins.
Frère Moïse,
Communauté des Béatitudes
Une réponse à “Clé de lecture de l’Évangile selon Saint Jean : Marcher dans la lumière”
Lorsque Dieu s’est reposé le 7° jour, shabbat, Il avait vu que “tout cela était très bon”.
Avec le péché, ce n’est plus si vrai, il,y a perte de substance spirituelle avec ses conséquences…
Jésus, Sauveur : Il reprend la création pervertie, affiablie pour l’amener à son vrai terme…
Ses guérisons de jour du shabbat ne manifestent-elles pas ceci ? Il reprend la création là où elle a failli, pour donner à Père le “oui” qu’Il avait attendu et pas reçu et ainsi élever l’humain et toute la création avec lui à Sa vie réelle, filiale, éternelle.
Pour pouvoir dire à nouveau “tout est accompli” tout cela est bon….
Il meurt avant le début du shabbat et ressuscite le lendemain du shabbat, Jour nouveau de l’accomplissement…