Yom Kippour

Achevant les dix jours redoutables inaugurés par Rosh ha-Shana, Yom ha-Kippourim signifie littéralement Jour des expiations (ou des pardons). Yom Kippour a la même signification, mais au singulier : Jour du Pardon. Nous avons vu que Rosh ha-Shana, le premier jour du mois de tishri, était le Jour du Jugement de Dieu sur le monde ; un jugement pour tous les hommes. Cette dimension universelle est importante. Toutefois, la tradition enseigne que la sentence est comme suspendue, mise en attente pendant dix jours, et le jugement définitivement scellé au dixième jour.
Pendant les dix jours redoutables, l’homme est donc appelé à la teshuva, c’est-à-dire littéralement : le retour [à Dieu]. C’est un temps de conversion, compris dans le sens du repentir ; un temps durant lequel nous devons confesser nos fautes, faire la paix avec nos ennemis, nous réconcilier, pardonner nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés. Comme dans la parabole évangélique du serviteur impitoyable bien connue des chrétiens 1Le sens de Kippour se retrouve aussi en arrière-plan du chapitre 15 de l’évangile de Luc, qui culmine avec la parabole du Fils prodigue., la tradition rabbinique enseigne que le pardon que Dieu donne est à la mesure de notre repentance et de notre disposition à nous réconcilier avec les autres.
La teshuva conduit l’homme à revenir à l’obéissance à Dieu et la pratique de ses commandements. Le temps qui mène à Kippour est donc un temps de plus grande reconnaissance de la royauté divine, un temps de révérence et d’attente à la fois humble et joyeuse de la miséricorde de Dieu. Là encore, on trouve des similitudes très importantes avec le cheminement spirituel que font les chrétiens, quant ils abordent le carême.
Au terme de ce cheminement, Yom Kippour est le temps du grand Pardon, du don universel de la miséricorde de Dieu. C’est l’occasion d’une purification proprement sacramentelle des péchés, pour tous les hommes qui accueillent sincèrement cette miséricorde.
26 Le Seigneur parla à moïse en ces termes: 27 “Mais au dixième jour de ce septième mois, qui est le jour des Expiations, il y aura pour vous convocation sainte : vous mortifierez vos personnes, vous offrirez un sacrifice au Seigneur, 28 et vous ne ferez aucun travail en ce même jour; car c’est un jour d’expiation, destiné à vous réhabiliter devant le Seigneur votre Dieu. 29 Aussi, toute personne qui ne se mortifiera pas en ce même jour, sera supprimée de son peuple ; 30 et toute personne qui fera un travail quelconque en ce même jour, j’anéantirai cette personne-là du milieu de son peuple. 31 Ne faites donc aucune sorte de travail : loi perpétuelle pour vos générations, dans toutes vos demeures. 32 Ce jour est pour vous un Shabbat Shabbaton, où vous mortifierez vos personnes ; dès le neuf du mois au soir, depuis un soir jusqu’à l’autre, vous observerez votre chômage.” (Lv 23, 26-32)
Yom Kippour est un jour de jeûne obligatoire. Même lorsqu’il tombe un jour de Shabbat. En effet, Shabbat est traditionnellement un jour de réjouissance, et même d’abondance, si bien que tout jeûne qui tomberait un jour de Shabbat serait immédiatement repoussé au dimanche ou avancé au jeudi précédent (car on interdit aussi traditionnellement de jeûner la veille du Shabbat). Yom Kippour est le seul cas d’un jeûne qui doit être pratiqué le jour prescrit, même si ce jour est un Shabbat, comme c’est le cas cette année. 2Ce serait aussi le cas avec le jeûne du 10 tevet, Assara BeTevet, commémorant le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor. Mais le calendrier fait que le 10 tevet ne peut jamais tomber un Shabbat. En revanche, il peut tomber un vendredi, et dans ce cas, le jeûne peut être maintenu. Car dans Dans Ez 24, 2 le 10 Tevet il y a une insistance sur « ce jour précis » qui fait un rapprochement avec Yom Kippour, appelé également « ce jour précis » עצם היום הזה (cf. Lv 23, 28). Les deux jeûnes sont donc assimilés. Ce jour-là, durant 25 heures, on jeûne complètement et on s’interdit tout travail, y compris de préparer de la nourriture. Dans la pratique contemporaine, on passe l’essentiel de la journée à la synagogue où se déroulent cinq offices, globalement selon le rituel du Shabbat. Et on sonne du shofar à la fin du jeûne. La confession des péchés y est obligatoire, et est faite dix fois au cours depuis le 9 au soir jusqu’à l’office de clôture le soir suivant, rappelant les dix fois que le Grand Prêtre prononçait le Nom divin, dans la liturgie de Kippour à l’époque du Temple.
Yom Kippour est décrit dans la Torah comme un Shabbat des Shabbats, ןבָּתוֹשַׁ שַׁבַּת Shabbat Shabbaton (Lv 23, 32 ci-dessus). La veille de Kippour, il est prescrit de manger plus que d’habitude, non pour satisfaire un appétit, mais pour mieux accomplir le commandement du jeûne de Kippour. De même qu’il est prescrit, dans le livre de l’Exode, de prélever deux fois plus de la Manne la veille du Shabbat, en vue du Shabbat. Ainsi comprend-on que Kippour soit Shabbat Shabbaton, et que l’on dise : « manger la veille de Kippour est comme manger la Manne ».
22 Mais il advint, au sixième jour, qu’ils recueillirent une provision double, deux ômer par personne ; tous les phylarques de la communauté vinrent l’annoncer à Moïse. 23 Il leur répondit : “C’est ce qu’a dit le Seigneur : Demain est le sabbat solennel, le saint shabbat pour le Seigneur ! (Ex 16, 22)
Bien qu’étant une prescription importante dans la Torah, Yom Kippour est probablement une institution post-exilique. Il n’en est pas fait mention dans les écrits d’Esdras (Ne 8, 2-18), au retour d’exil, entre la fête du 1er jour de tishri et la fête des Tentes, comme cela devrait être le cas. En revanche, dans ce récit, un jeûne est mentionné le 24 tishri, après la fête des Tentes (Ne 9, 1). Mais ni jeûne ni expiation ne sont évoqués le dixième jour.
Pourtant, à l’époque du second Temple, la solennité de Kippour devient la clef de voûte de la liturgie sacrificielle. L’imposant rituel est décrit dans la Torah, au chapitre 16 du Lévitique, comme le moment solennel où le Grand Prêtre pénètre dans le Saint des Saints, au-delà du rideau du Sanctuaire. Ce n’est donc pas une solennité comme les autres, mais celle de la rencontre la plus intime avec Dieu. Cela nous enseigne que le repentir et la miséricorde sont de cet ordre-là : le sommet, l’apothéose de l’union avec le Seigneur. L’expiation est retour dans la proximité, dans l’intimité de la demeure divine.
3 Voici comment Aaron entrera dans le sanctuaire : avec un jeune taureau comme expiatoire, et un bélier comme holocauste. 4 Il sera vêtu d’une tunique de lin consacrée, un caleçon de lin couvrira sa chair ; une écharpe de lin le ceindra, et une tiare de lin sera sa coiffure. C’est un costume sacré, il doit se baigner dans l’eau avant de s’en vêtir. (Lv 16, 3-4)
A l’époque du second Temple, le Grand Prêtre entrait donc aux premières heures du jour dans le Sanctuaire, vêtu de sa tenue de lin consacrée, pour accomplir le sacrifice quotidien du matin, effectuer le rite de l’allumage des lampes de la Menorah (le chandelier d’or à sept branches) et faire fumer l’encens. Puis commençaient les sacrifices propres à Kippour.
5 De la part de la communauté des enfants d’Israël, II prendra deux boucs pour l’expiation et un bélier comme holocauste. 6 Et Aaron amènera le taureau expiatoire qui lui est destiné, afin d’obtenir grâce pour lui-même et pour sa maison. 7 Et II prendra les deux boucs et les présentera devant le Seigneur, à l’entrée de la Tente d’assignation. 8 Aaron tirera au sort pour les deux boucs : un lot sera pour YHVH, un lot pour Azazel. 9 Aaron devra offrir le bouc que le sort aura désigné pour YHVH, et le traiter comme expiatoire ; 10 et le bouc que le sort aura désigné pour Azazel devra être placé, vivant, devant le Seigneur, pour servir à la propitiation, pour être envoyé à Azazel dans le désert. (Lv 16, 5-10)
Le Grand Prêtre devait donc tirer au sort entre deux boucs. Le premier était immolé pour la purification du sanctuaire, de la tente et de l’autel (mouvement de l’intérieur vers l’extérieur) : pour qu’ils soient séparés du péché des fils d’Israël, y compris ceux du Grand Prêtre et de sa famille. Après cette purification, le Grand Prêtre imposait sur la tête du second bouc, vivant, pour le charger des péchés ; puis le bouc était envoyé dans le désert. C’est d’ailleurs là l’origine de l’expression « bouc émissaire ».
La prononciation du Nom divin est un élément important de la liturgie de Kippour. « Jusque vers 200 avant notre ère, le nom divin était prononcé tous matins dans le temple lors de la bénédiction sacerdotale : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son visage et t’accorde sa grâce ! Que le Seigneur lève sur toi son visage et te donne la paix. » (Nb 6, 24-26). Dans le contexte d’origine de cette formule, le verset suivant ajoute : « Ils mettront mon nom sur les fils d’Israël et je les bénirai. » La Mishna précise que le nom était prononcé dans le temple « comme il est écrit », alors qu’on utilisait une autre appellation (kinuy) dans le reste du pays. À partir d’une certaine époque, on cessa de prononcer le nom divin dans la liturgie quotidienne du temple. Le Talmud laisse entendre qu’on prit cette décision pour éviter que certains ne fassent du nom un usage magique » 3Michel Remaud, « La prononciation du Nom Divin » dans le judaïsme, Un écho d’Israël du 31 octobre 2008..
A partir de cette époque, le Tétragramme que seul le Grand Prêtre pouvait vocaliser, n’était plus prononcé que dans la liturgie de Kippour, dix fois au cours des différents offices. La Mishna précise encore qu’à chaque fois qu’Il était dit, les fils d’Israël rassemblés à l’extérieur de la Tente se prosternaient en disant : « Béni soit le Nom de Son règne de gloire à jamais ».
Depuis la destruction du second Temple, dans la liturgie synagogale, on ne prononce plus le Nom divin. En revanche, on y rappelle que le Grand Prêtre prononçait le Nom. L’assemblée se prosterne alors dans la synagogue à ce rappel. Bien évidemment, il n’y a plus non plus de sacrifice sanglant, ni de bouc émissaire. La liturgie sacrificielle, qui est le cœur de Kippour, a vu substituées, après la destruction du Temple, les prières des fidèles au sang des victimes. Les sages, dès la constitution de la Mishna après la destruction du Temple, s’appuient alors sur la phrase d’Osée : « C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes » (Os 6, 6).
Sources :
- Anne-Catherine Avril et Dominique de la Maisonneuve, Les fêtes juives, Supplément au Cahier Evangile n°86, éd. Cerf, décembre 1993.
- Article Day of Atonementde la Jewish Encyclopedia
Pneumatis
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | Le sens de Kippour se retrouve aussi en arrière-plan du chapitre 15 de l’évangile de Luc, qui culmine avec la parabole du Fils prodigue. |
2. | ↑ | Ce serait aussi le cas avec le jeûne du 10 tevet, Assara BeTevet, commémorant le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor. Mais le calendrier fait que le 10 tevet ne peut jamais tomber un Shabbat. En revanche, il peut tomber un vendredi, et dans ce cas, le jeûne peut être maintenu. Car dans Dans Ez 24, 2 le 10 Tevet il y a une insistance sur « ce jour précis » qui fait un rapprochement avec Yom Kippour, appelé également « ce jour précis » עצם היום הזה (cf. Lv 23, 28). Les deux jeûnes sont donc assimilés. |
3. | ↑ | Michel Remaud, « La prononciation du Nom Divin » dans le judaïsme, Un écho d’Israël du 31 octobre 2008. |
Une réponse à “Yom Kippour”
[…] dans la tradition chrétienne. Et nous l’avons vu avec Rosh haShana et Kippour, ce n’est pourtant pas la mention de la fête dans la Torah (Ex 23, 6 ; Lv 23, 33-36.39-43 ; […]