Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu…

By the way, comme le disent les anglais, nous voici proches de la fin de l’année liturgique. C’est pourquoi, les Evangiles que nous avons entendus ces dernières semaines nous parlent du jugement et nous invitent à répondre à l’appel pressant de Dieu afin d’avoir part avec le Christ pour la vie éternelle. Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus ne nous parle plus en paraboles. Nous sommes au cœur d’un drame, dans un huis clos, une confrontation entre lui et ceux qui veulent sa mort.
Les ennemis d’hier, les partisans des pharisiens et ceux d’Hérode, sont devenus amis pour parvenir à leur fin, tendre un piège mortel à Jésus. Tout commence par une captatio benevolentiae, afin d’endormir l’attention de celui qu’il veulent tuer. C’est ainsi qu’ils le flattent : « Maître, lui dirent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu… »
Le piège peut désormais être tendu. Ici, il prend la forme d’une consultation au sujet d’une question épineuse qui requiert sagesse et expertise: « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’Empereur ? » La ruse est habile, car cette question est fermée. Jésus est placé devant une alternative. S’il répond négativement, il se fait le partisan déclaré de ceux qui refusent de payer l’impôt, réponse qui serait interprétée par les forces romaines d’occupation comme un appel au soulèvement contre César. S’il répond affirmativement, en disant qu’il faut payer l’impôt à César, il se fait le chantre de la collaboration avec l’envahisseur. Quelle que soit l’issue, la mort est au rendez-vous, soit pour sédition, soit pour collaboration.
Nous sommes ici face à une hypocrisie dénoncée par le Christ et à un dévoiement de la vérité. Vérité que pourtant ces hommes perçoivent mais sans y adhérer et en la méprisant. Cela ressemble à un mensonge et le mensonge est toujours homicide à l’instar du Démon qui en est en le roi.
Saint Augustin dit que Jésus « leur ferme la bouche : premièrement, en leur faisant voir qu’il connaissait leur malice ; secondement, par une réponse qui ne laisse aucune réplique… » Il nous reste à décrypter cette habile réponse de Jésus qui les laisse sans voix : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » L’évêque d’Hippone continue son commentaire en disant : « De même que César cherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu cherche son image en ton âme. « Rends à César ce qui appartient à César », dit le Sauveur. Que réclame de toi César ? Son image. Que réclame de toi le Seigneur ? Son image. Mais l’image de César est sur une pièce de monnaie, l’image de Dieu est en toi. » Habilement, Jésus va déminer la question de ses adversaires et leur révéler la véritable articulation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Ce faisant, il va jeter les bases de ce qui sera plus tard appelé la théorie des deux glaives. L’élaboration de cette théorie a permis à l’Eglise et aux chrétiens de distinguer le pouvoir temporel du pouvoir spirituel. C’est ainsi que, sans perdre son âme, on peut rendre à César ce qui relève de sa sphère de compétence et à Dieu ce qui lui appartient, c’est à dire tout notre être !
Toujours au sujet de la théorie des deux glaives et de celle des compétences propres des deux pouvoirs, saint Hilaire de Poitiers enseigne une chose difficile à entendre mais néanmoins nécessaire, la justification de l’impôt par Jésus ! : « Il (Jésus) sait tellement nous tracer notre voie entre le mépris du monde et l’offense à César ; il affranchit tellement du monde les âmes qu’il consacre à Dieu, qu’elles n’ont aucune difficulté de rendre à César ce qu’elles doivent à César. » Car « dans la mesure où nous nous servons de lui, des choses qui dépendent de lui, nous nous mettons dans la nécessité de lui rendre ce que nous en recevons (…) L’image de César est gravée dans le métal… » Quelles sont « ces choses dont nous nous servons et qui dépendent de lui… », c’est à dire de César, de l’Etat? A cela nous pouvons répondre les services publiques, tout ce qui devrait permettre de contribuer au bien commun, à la vie en société, la sécurité des personnes et des biens et à la protection des plus faibles…
En outre, saint Hilaire ajoute que « l’image de Dieu est gravée dans tout l’homme, dans son corps, son âme, sa volonté ; il est donc juste de lui rendre notre corps, notre âme et notre volonté ; il est juste de lui rendre tout cela puisque c’est lui qui nous en donne et la substance et l’accroissement. » Nous touchons ici à quelque chose de très délicat, au cœur de l’actualité française et internationale. En effet, toutes les grandes questions de société des quarante dernières années, trouvent leur solution dans la bonne compréhension des deux sphères, mais aussi dans celle de leur interaction.
Ce qui touche à l’homme et à sa dignité relève fondamentalement de la loi naturelle inscrite au fond des cœurs. Comme chrétiens nous affirmons que cette dignité relève aussi du mystère de l’incarnation et de celui de la rédemption où Dieu prend notre nature humaine pour la sauver et la glorifier. L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ne peut être compris et traité comme un animal ou comme un bien monnayable… Ainsi l’Eglise rappelle sans cesse, à temps et contre temps, que la vie et la mort ne peuvent être à la merci des lois, des modes, des majorités, des opinions, des émotions, de l’économie… Nul ne peut décider qui mérite de vivre ou de mourir… Nul ne dispose de son corps, de sa vie, pas plus que de ceux des autres. C’est ainsi qu’à partir de la tradition chrétienne a été forgé un concept juridique qui fait la fierté du droit français : l’indisponibilité du corps humain. Ce principe dit que l’on ne peut pas vendre ou louer une partie ou l’ensemble de son corps … Ce qui le sous-tend, c’est la reconnaissance de la spécificité de la dignité humaine. L’homme ne se reçoit pas de lui-même, il ne s’appartient pas, il se reçoit de Dieu…
Pensant à l’avortement, à l’euthanasie, à la GPA et à la PMA, je me dis que nous aurions beaucoup à gagner à relire les Pères de l’Eglise et à méditer de nouveau ces mots de saint Hilaire : « Il est donc juste de lui rendre notre corps, notre âme et notre volonté ; il est juste de lui rendre tout cela puisque c’est lui qui nous en donne et la substance et l’accroissement… » En cas de conflit d’intérêts entre ce que nous devons à Dieu et à César, je vous conseille cette citation de saint Jean Chrysostome : « Quand vous entendez cette parole : Rendez à César ce qui est à César, entendez-la des choses qui ne sont pas contraires à la piété due à Dieu ; car si elles lui étaient contraires, ce ne serait plus le tribut de César, ce serait le tribut de Satan. » A bon entendeur !
Enfin, je crois qu’en travaillant au bien commun et à la promotion humaine, nous « paierons » la meilleure des contributions à César et que nous rendrons un bel hommage à Dieu, celui de l’action de grâce.
Bon dimanche et bonne semaine à tous.
Pod
Une réponse à “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu…”
Bonjour !
Un seul mot pour qualifier votre billet : excellent !
A noter aussi(cf le pasteur Gilles Boucomont) que l’on devrait répondre à la question “qui es-tu ?” de la même façon que nous répondons à cette autre : “à qui appartiens-tu ?”
Et aussi(c’est dans le sens de l’un de vos paragraphes), que si Jésus a rappelé qu’il convient de « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »(Marc 12v17 , cf Rom.13v1-7), « Veiller, c’est en somme rappeler à César qu’il n’est pas Dieu…” (http://pepscafeleblogue.wordpress.com/2014/06/13/resistance-resiste-et-tance/ )
En Christ,
Pep’s