Haïti et le duvaliérisme

“Quelque chose doit changer en Haïti !” disait Saint Jean-Paul II lors de son voyage en Haïti en mars 1983. Ses propos étaient fermes, marquant et clairs. Il appelait à un changement économique, social. Tout le monde a aussi compris ce jour là que le changement demandé était de nature politique. Sur les cartes postales de sa visite, une autre citation était indiquée : “L’homme est à l’image de Dieu, il faut le respecter.”
Le Président qui a accueilli Jean-Paul II et qui se trouvait aux côtés du Pape lors de ce discours était Jean-Claude Duvalier. Son régime dictatorial, sa gouvernance construite sur une oligarchie corrompue, étaient visés par le Pape. Non pas sa personne directement, car il aurait pu être acteur de ce changement comme l’a été Mikhail Gorbatchev en URSS.
C’est cet homme qui est décédé le 4 octobre dernier. L’homme d’un changement qui s’est fait contre lui. L’homme d’une dictature dont il a hérité. L’homme qui a contribué malgré lui à la ruine d’Haïti.
Jean-Claude Duvalier, dit Baby doc, est arrivé au pouvoir le 21 avril 1971. Il avait 19 ans, il était le plus jeune chef d’Etat du monde. Son père François Duvalier, dit Papa doc 1Il était médecin., était Président à vie de 1957 à 1971, et il avait inscrit dans la constitution que son successeur serait son fils… Une fausse République qui a des airs de monarchie absolue : le Président avait tous les pouvoirs.
Ce jeune dictateur de 19 ans n’avait pas la carrure pour gouverner, et en vérité le pouvoir était davantage tenu par sa mère, par les hommes de son père et par la milice du régime : les tristement célèbres “tontons macoutes”. Cette milice se nommait officiellement les Volontaires de la sécurité nationale. François Duvalier les a créé en s’inspirant des chemises noires de Mussolini. Une garde politique, toute dévouée à la personne du dictateur auquel elle voue un culte. Non rémunérés, ces volontaires vivaient du pillage de leurs victimes et du racket. Intouchables : ils obtenaient du peuple toutes les faveurs qu’ils souhaitaient… Leur surnom de “tontons macoutes” vient de la terreur qu’ils inspiraient : le tonton macoute est le père fouettard du folklore haïtien.
Baby doc n’a fait que profiter de ce système. Et ce système n’a fait que profiter d’Haïti. De 1957, arrivée de François Duvalier, à 1986 où Jean-Claude est parti, le PIB d’Haïti s’est effondré de plus de 40%. La famille Duvalier a pillé à son profit les ressources du pays. Son élite financière et intellectuelle a émigré en masse vers Montréal, New-York, Miami et Paris. La dictature des Duvalier a installé un climat de terreur et de racisme contre les blancs et les métis. Car le duvalierisme reposait sur une idéologie : le nationalisme noir.
François Duvalier croyait qu’il existait une lutte des classes haïtienne : la population noire, pauvre, contre la riche population métisse et blanche. Son régime s’est construit sur cette haine raciste. Il a restreint, et presque interdit, l’accès des blancs aux fonctions publiques. Il a même organisé des massacres de familles métisses, notamment lors des terribles “Vêpres jérémiennes” 2Massacre de familles métisses dans la ville de Jérémie, au sud d’Haïti.. Un massacre parmi d’autres : la caserne de Fort Dimanche était connue pour les multiples exécutions d’opposants, dont certaines de la main même de François Duvalier. Ces crimes ont continué après sa mort, par le biais des tontons macoutes. Sont fils n’a fait qu’approuver les actes de la garde de son père.
Le duvaliérisme a aussi réhabilité le culte vaudou. Le concevant comme une composante essentielle du peuple haïtien, ce culte a connu un essor dont les conséquences actuelles font débat. Le cardinal Langlois, a récemment suscité une polémique avec des propos sur le rôle de ce culte dans la misère du pays.
Le bilan du duvaliérisme est sombre. Cette dictature a fait plonger Haïti dans la misère.
C’est cette situation qui a poussé Jean-Paul II à appeler au changement et au respect des Droits de l’Homme. Son appel a été entendu. De nombreux soulèvements populaires ont suivi, et en 1986, Jean-Claude Duvalier a démissionné. Il est parti en exil dans le seul pays qui a accepté de l’accueillir : la France… Son exil a été luxueux, sa fortune était bien protégée dans des banques suisses.
Mais la mort de Jean-Claude Duvalier nous amène à penser aux suite de la dictature. Il s’en est suivi une période d’instabilité politique, une tentative de démocratie qui n’est toujours pas concluante. Depuis 1986, Haïti ne s’est pas redressée. Pire : l’instabilité politique qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui a achevé de ruiner le pays. Elle a réduit l’Etat à bien peu de choses, ce qui a créé des conditions d’insécurité. L’économie n’est toujours pas repartie. Quant au Vaudou, il a actuellement un statut culturel de premier ordre.
Le nationalisme noir de Duvalier n’a pas été totalement abolit. Il demeure encore quelques restes. Les opposants à Duvalier, le père Aristide en tête, ont construit une idéologie de gauche qui reprend certains thèmes duvaliéristes, comme la place du Vaudou où la méfiance envers les métisses. Certes, l’échec et la violence des années de présidence de Jean-Bertrand Aristide ont disqualifié celui-ci… Mais ils ont aussi disqualifié une partie de l’anti-duvaliérisme… Ce qui pousse certains à une nostalgie des années Duvalier.
Depuis 1957, Haïti a pris le chemin de la misère. Le fascisme noir des Duvalier en est la cause. L’instabilité l’a entretenue. Le séisme de 2010 l’a parachevé.
Le changement voulu par Jean-Paul II n’a pas eu lieu. Car ce changement nécessaire était plus qu’un changement politique.
La reconstruction actuelle, avec le gouvernement Martelly et l’aide internationale permettra-t-elle a Haïti de sortir de la misère ? Espérons-le.
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | Il était médecin. |
2. | ↑ | Massacre de familles métisses dans la ville de Jérémie, au sud d’Haïti. |
Une réponse à “Haïti et le duvaliérisme”
[…] fondateur de l’Etat haïtien est Jean-Jacques Dessaline, le successeur de Toussaint. Le dictateur François Duvalier considérait qu’Haïti était “Dessalinienne” et non “Louverturienne”, d’ailleurs […]