Le temps du carême est-il un temps d’ascèse ?
Le temps du carême doit être un temps d’ascèse. Et qui dit ascèse dit aussi quelque chose de désagréable. Comment peut-on trouver de la joie dans ces quarante jours qui doivent être sombres par définition ? On se demande légitimement ce qu’est l’ascèse pour un homme qui vit dans une société laïque, presque christianophobe ? La réticence vient de l’atmosphère de bien être qui règne aujourd’hui. Est-ce que l’ascèse relève d’une envie de mortification qui se termine dans la haine de tout ce qui est corporel ? Non, évidemment, car ce regard porté sur le christianisme vient de très loin. Pendant mes 30 ans de fréquentation de chrétiens pratiquants, je n’ai pas encore croisé une personne s’adonnant à la flagellation comme au temps de la spiritualité espagnole des siècles précédents. L’ascèse est-elle donc une pratique obsolète ? On trouve une tendance vers une « spiritualisation » de l’ascèse. Que veux-je dire par là ? On s’aperçoit que le carême devient victime du progrès : avant on ne mangeait pas de viande durant les longs jours de pénitence. On est passé vers des privations dites individuelles et spirituelles comme par exemple ne pas fumer une cigarette après un bon repas. Mais que peuvent faire mes amis non fumeurs et végétariens pendant ce temps là ? Peut-être peuvent-ils se priver de sucre dans leur café ? Stop, on voit bien que ces privations deviennent vite ridicules. Peut-on comparer le fait de se priver d’un morceau de sucre, avec les 40 jours de fuite d’Élie devant une reine mauvaise, ou bien les tentations de Notre Seigneur dans le désert ? L’ascèse est une chose sérieuse.
Qu’est-ce qu’un acte ascétique ? L’acte ascétique est d’abord un sacrifice qui ne prend pas pour objet quelque chose d’extérieur. Au contraire, il s’agit d’un sacrifice touchant le moi : mon ego. Il ne s’agit pas d’une ascèse pour l’ascèse comme c’est le cas lors d’une grande ascèse extérieure. La facilité qui explique l’inclination vers des pratiques très mortifiantes est une fausse mesure de l’ascèse. Ce type d’ascèse est très facile à comparer. Cette mesure que nous nous donnons nous-même, nous permet de nous acheter une conscience calme mais qui passe à coté de l’essentiel : car l’ascèse vise l’égoïsme intérieur. D’où vient la difficulté de l’ascétisme chrétien ? Il existe une singularité propre à chacun de nous que l’on doit respecter. Comment faire pour ne pas tomber dans un relativisme angélique qui exagère la singularité ? L’essence de l’acte ascétique consiste à se donner une forme qui nous prépare à la vie éternelle par le renoncement à certaines attaches terrestres. Or en vertue de ce qu’est l’homme : une composition formée d’un corps et d’une âme, il ne doit pas négliger les moyens matériels. Les moyens matériels nous ouvrent la voie vers ce qui est impalpable et le plus fin dans l’homme. Sans moyens matériels l’ascèse risque d’être un sacrifice sans réelle efficacité. Quels moyens concrets doit-on prendre ?
Saint Benoît associe le temps du carême avec une pratique spécifique : la lecture de carême. Chaque moine reçoit un livre propre à lui, et il doit s’adonner à la lecture quotidienne de ce livre tout au long du carême. L’importance de cet exercice est la régularité et le temps fixe de la lecture. Or la régularité et le temps fixe relèvent d’un acte ascétique, car l’homme exerce sa liberté dans l’engagement concret. Il doit maîtriser son envie : parfois on peut vouloir terminer la lecture plus tôt et parfois on préférerait continuer jusqu’à la fin du chapitre. Cela nous rappelle que le livre choisi n’est pas forcément une œuvre ennuyante d’un père de l’Église du IVe siècle mais un livre qui doit nous donner de l’élan pour monter vers Pâques. Voilà une solution traditionnelle mais toujours actuelle : donc bonne lecture !
Mathias Siroky
Une réponse à “Le temps du carême est-il un temps d’ascèse ?”
Je trouve cet article intéressant et il y a plein de bonnes choses dedans.
En même temps, j’ai quelques difficultés avec certaines parties:
Par exemple, la grande ascèse extérieure n’est pas d’abord un moyen de se donner bonne conscience. Ou en tout cas, elle l’est autant que de se fixer un temps de lecture fixe quotidien. Elle est comme toutes les ascèses un moyen et doit être compris comme tel. Le carré de sucre non mis dans le café peut être un moyen de se donner bonne conscience à petit prix pour certains (pris comme but), alors qu’il sera un acte de volonté orienté vers la sanctification pour d’autres (pris comme moyen)…
Je suis tout à fait pour la lecture fixe pendant le carême. C’est une pratique tout à fait louable, et je suis heureux qu’elle soit proposée, mais les pratiques traditionnelles de se priver de viande (qui reviennent au goût du jour à travers de nombreux parcours de carême) invitent à une réelle pauvreté et un vrai renoncement de choses légitimes, offertes comme autant de sacrifices qui touchent l’ego dans ce qui le concerne au plus près de lui-même: la chair par l’acte de manger, la bouche comme premier lieu du plaisir. Prendre l’homme comme un être incarné.
Je vous propose ce lien http://blog.lanef.net/index.php?post%2FA-chacun-son-Car%C3%AAme qui est et très énergique et fascinant, mêlant la fougue de la jeunesse et la folie en Dieu, tout en promouvant une ascèse profonde et joyeuse dans le but de la conversion du coeur vers Dieu et les autres.
Encore merci pour votre article.