Cristeros : au-delà du film
Deux ans après sa sortie aux Etats-Unis, le film Cristeros a enfin trouvé un distributeur en France, et sortira le 14 mai prochain sur les écrans.
Au vu de la promotion lancée dans le petit milieu catholique, au sein duquel circulait déjà les versions téléchargées du film, qui furent visionnées avec excitation lors des manifestations de l’an dernier, tout indique que le succès sera sans doute au rendez-vous.
Pourtant, certains s’inquiètent: ce film ne donnera-t-il pas lieu à une récupération politique, avec des cathos chauffés à blanc, autoproclamés nouveaux Cristeros de 2014 ? A vrai dire, le film s’y prête: il a été distribué à l’été 2012, en plein bras de fer entre l’Eglise catholique et l’administration Obama, au sujet de la contraception imposée aux hôpitaux confessionnels. Un regard attentif note d’ailleurs une lourde insistance dans le film sur la “liberty” face à l’Etat, chère aux Américains.
La meilleure façon de conjurer les clichés, et de rendre un véritable hommage à l’épopée des Cristeros, est donc de revenir aux sources de cette épisode méconnu de l’histoire du Mexique.
- Une longue persécution religieuse
Le Mexique est un pays profondément pratiquant, mais où l’État s’est construit contre l’Église. En 1820, au cours de la Guerre d’indépendance du Mexique, deux prêtres qui soutiennent la rébellion contre l’Espagne, le Père Miguel Hidalgo et le Père José Maria Morelos, sont excommuniés par leurs évêques. Dès lors, un clivage fort va structurer l’histoire mexicaine, entre “libéraux”, héritiers de l’indépendance et des révolutions successives, et l’Eglise, accusée d’être un blocage à l’Etat.
Le Mexique a été l’un des premiers pays à réaliser la séparation de l’Église et de l’État. Dès 1857, le président Benito Juarez ne reconnaît plus l’Église catholique dans la Constitution. En 1859, les biens du clergé sont nationalisés, le mariage civil est instauré, les registres de naissance et cimetières sont sécularisés et les fêtes religieuses sont limitées.
En 1876, le général Porfirio Diaz s’empare du pouvoir, et le conserve jusqu’en jusqu’en 1911. Sous sa main de fer, le Mexique connaît une modernisation technique et économique sans précédent. Diaz favorise l’emprise de la franc-maçonnerie au sein de l’administration et de l’armée. Le scientisme et la recherche du progrès maçonniques correspondent à ses ambitions pour le Mexique. Les militaires qui entourent Diaz, formés dans les académies et les écoles d’ingénieur, sont surnommés les Cientificos. Ils sont majoritairement agnostiques, voire anticléricaux. La maçonnerie devient le vivier des élites politiques mexicaines, qu’elles soient loyales ou opposantes au régime de Diaz. Le vieux général maintient l’Église dans la soumission et la pauvreté matérielle, mais la tolère: “sans la religion, le Mexique est perdu“, dit-il.
- La Révolution mexicaine
Après des décennies de dictature, Diaz est chassé en 1911 par une insurrection, et s’exile en France. Francisco Madero, lui aussi dignitaire maçonnique, devient président. En 1913, une contre-révolution, organisée par les nostalgiques du régime de Porfirio Diaz, assassine Madero et porte au pouvoir le général Victoriano Huerta, un Cientifico. Les évêques adoptent une neutralité bienveillante envers le nouveau régime. A partir de cette date, tous les chefs révolutionnaires deviennent férocement anticléricaux.
En 1914, Venustiano Carranza est vainqueur de Huerta : sa Constitution de 1917 confirme l’inexistence légale de l’Église catholique. Son successeur Alvaron Obregon fait de même. Les exactions anticatholiques se multiplient. Le Délégué apostolique au Mexique est expulsé en 1923, en réponse à l’inauguration d’un monument sur le mont Cubilete, symbolisant le Christ Roi, à qui le Mexique est consacré. Plus de 40 000 fidèles y assistent. Déjà, le cri de ralliement des catholiques circule: ” i Viva Cristo Rey !“
- La loi Calles met le feu aux poudres
En 1924, le président Plutarco Elias Calles est élu. Dès l’année suivante, les autorités suscitent la création d’une Eglise schismatique, l’Eglise catholique apostolique mexicaine, mais la tentative d’entraîner les fidèles dans son sillage échoue. Au contraire, les catholiques fondent la Ligue nationale de défense religieuse. Ils sont encouragés par l’encyclique Quas Primas du Pape Pie XI, qui institue, le 11 décembre 1925, la fête du Christ Roi.
Athée, Plutarco Elias Calles cherche à éradiquer le catholicisme. Pour parvenir à cet objectif, il entend appliquer strictement la Constitution mexicaine de 1917, qui interdit déjà l’enseignement religieux, l’activité des prêtres étrangers, et les célébrations religieuses en-dehors des églises.
En 1926, Calles décide d’ajouter à la Constitution l’article 130: “Le gouvernement ne reconnaît pas la hiérarchie de l’Eglise et s’entendra directement (…) avec les ministres ou avec les personnes qui s’avèreront nécéssaires“. L’Église est niée et détruite dans son organisation même.
Les évêques protestent, appellent les catholiques à la résistance pacifique: la Ligue nationale de défense religieuse collecte une pétition de un million de signatures pour demander le rejet de la Loi Calles. Devant l’autisme du pouvoir, un boycott économique est déclenché. Quoique peu suivi par les catholiques aisés, il pousse le gouvernement à arrêter l’archevêque de Mexico. De nombreux évêques s’exilent alors aux États-Unis ou à Cuba.
Pour protester, le clergé suspend le culte public le 31 juillet 1926, la veille de l’entrée en vigueur de la Loi Calles. Au cours du mois d’août, les premières milices se créent dans les campagnes catholiques: la guerre des Cristeros commence.
- La guerre civile
Tandis que l’armée régulière a été aguerrie par la période révolutionnaire, la masse paysanne catholique est désorganisée et sous-équipée. Le clergé et Rome cherchent donc à éviter l’affrontement armé, et privilégient la résistance pacifique. Le 18 novembre 1926, Pie XI publie l’encyclique Iniquis Affictisque, qui offre un soutien spirituel à l’Eglise du Mexique.
En janvier 1927, les Cristeros, s’attaquent victorieusement aux troupes régulières dans l’Etat de Jalisco, dans le centre du Mexique, où la pratique de la foi est élevée. A partir de ce foyer, l’insurrection se propage rapidement dans tout le pays. Même si des prêtres guident les combattants, la hiérarchie épiscopale et la bourgeoisie catholique urbaine ne suivent pas la révolte, dirigée par des laïcs.
Pour faire face aux forces de régime, la Ligue catholique recrute le général Enrique Gorostieta (incarné par Andy Garcia dans le film): celui-ci est un pur Cientifico, franc-maçon, qui a servi sous les ordres du général Huerta. Il décide pourtant d’aider les Cristeros, notamment pour imposer une révision de la Constitution, dans laquelle il jouerait un rôle politique. Il tente d’organiser les rebelles en véritable armée organisée, et inflige de lourdes pertes au camp ennemi.
En trois ans de guerre, 25 000 Cristeros, et 65 000 soldats réguliers trouvent la mort. L’Eglise honore nombre de martyrs de cette période.
Fin et héritage des Cristeros
Le film restitue les grandes lignes du dénouement du conflit: en 1929, une trêve est négociée entre le régime mexicain et les Cristeros, à l’initiative du Pape Pie XI et de l’ambassadeur des Etats-Unis. Toutefois, il ne précise pas que Washington, tout en poussant à la résolution de la guerre civile, accorde dans le même temps une aide militaire à l’armée mexicaine, en échange de facilités dans le domaine pétrolier.
Mais la trêve est utilisée comme un répit pour le régime mexicain, qui contre-attaque dans les mois qui suivent l’accord de paix: le général Gorostieta est assassiné, ainsi que 500 autres chefs Cristeros, et plus de 5 000 combattants.
Jusqu’en 1934, le président anticatholique Calles garde le pouvoir par hommes de main interposés, et continue de persécuter l’Eglise de manière larvée. Mais le sacrifice des Cristeros n’a pas été vain: par prudence, les articles anticléricaux de la Constitution ne sont pas appliqués. En 1940, l’élection d’un président catholique, Manuel Camacho, permet à l’Eglise de respirer, et atténue l’anticléricalisme, qui fait cependant toujours partie de l’ADN des élites politiques du Mexique.
L’Eglise catholique mexicaine a depuis relevé la tête, et compte plus de cent évêques. “Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point” (Matthieu 24:35).
Une réponse à “Cristeros : au-delà du film”
[…] le scenario et les acteurs sont remarquables. Le film, qui sort aujourd’hui en salle, retrace l’histoire des dizaines de milliers de mexicains qui de 1926 à 1929 ont pris les armes et se sont levés contre l’interdiction des pratiques […]