Lettre à un vicaire imparfait

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Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Rarement ce texte, proposé par la liturgie en ce mercredi des cendres dans toutes les églises du monde, aura trouvé un tel écho. Les païens peuvent bien se moquer, ils peuvent bien nous insulter, car il y a de quoi ;
- dans notre Eglise, certains ont pu violer des enfants ;
- dans notre Eglise, certains ont pu violer des religieuses, avant d’exiger d’elles que le fruit de leur méfait soit avorté !!;
- dans notre Eglise, qui prétend proposer un enseignement moral, certains, beaucoup, trop nombreux, par crainte du scandale, par lâcheté, se sont tus et par ce mensonge premier ont été amenés à poser des actes qui les rendent objectivement complices des crimes qu’ils ont couverts, allant parfois jusqu’à institutionnaliser des systèmes d’esclavages sexuels.
Ce soir, dans ma paroisse, toi qui célébrais la messe des cendres, tu as peiné à prendre la parole, accablé par l’ampleur du mal révélé. Comment ne pas te comprendre ? En plus de celui-ci, écrasant, tu dois supporter le soupçon, l’incompréhension du monde qui a vite fait d’attribuer ces comportements déviants au célibat que tu partages, où à l’exigence morale que nous essayons de vivre. Cependant, plus que l’opprobre, la perte de crédibilité qui t’atteignent personnellement, il était clair que c’est le mal absolu au sein de l’Eglise qui te blesse.
Car la réalité est dure.
Là où les hommes font voeu de pauvreté, il semble que dans beaucoup d’endroits, les femmes fassent voeu d’indigence. Indigence matérielle, pour ces religieuses africaines laissées dans la dépendance à un pervers, dépositaire des ressources nécessaires pour leur vie. Mais surtout indigence intellectuelle et humaine : tout au long du documentaire, on voit des religieuses (en Afrique comme en Occident) si peu formées qu’elles confondent la soumission à la perversité avec leur voeu d’obéissance, et perdent toute capacité de discernement dès qu’elles se confessent ? Jusqu’à quand le gouvernement de l’Eglise tolérera-t-il une telle jachère intellectuelle, terreau de tous les abus ? jusqu’à quand permettra-t-elle une telle concentration du pouvoir, trop grand pour être sainement porté par un homme pécheur ?
La première partie du reportage diffusé hier montrait des cas sans doute plus fréquents chez nous, cas où la perversité se pare des atours des l’excellence : par leur brillance intellectuelle, par la dimensions de l’oeuvre qu’ils ont fondée, ceux-là s’attiraient l’admiration d’un petit ilot de fidèles, ilot qui devient à la foi le terrain de jeu de leur toute-puissance et leur muraille contre l’autorité ecclésiale (taxée de jalousie, ou de vouloir couper une tête qui dépasse, lorsqu’elle vient à s’alarmer). Quand donc, dans l’Eglise, cessera-t-on d’aduler ce curé “en avance sur son temps”, ce fondateur “saint, sans aucun doute” qu’on découvrira plus tard narcissique et manipulateur ?
Laisser passer la lumière.. malgré soi.
A revers, toi qui te voudrais plus parfait pour mieux annoncer l’évangile, qui considères ton imperfection comme un obstacle, saches-le : c’est a contrario celle-ci qui me rassure. Nous rêverions d’un curé-manager qui mène tout d’une main de maître ? Il nous faut nous accommoder d’un homme avec ses limites et l’aimer comme un frère plutôt qu’en faire une idole. Les projets pastoraux avanceront peut-être moins vite, mais notre vocation n’est pas d’être plus photophore qu’étoile brillante ?
Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment.
Une réponse à “Lettre à un vicaire imparfait”
Je suis bien en phase avec votre édito, et notamment avec sa conclusion.
Traiter le prêtre de sa paroisse en frère …plutôt qu’en père est à mon avis un vrai sujet , la “paternité spirituelle ” n’étant à mes yeux qu’une vaste foutaise et un immense piège à abus de tous ordres, abus spirituel en tête.
Rares – mais heureusement bien vivants – sont les prêtres qui habitent sainement… et finalement, saintement , leur condition d’homme pécheur, non pas comme excuse facile de leurs fautes, mais comme faculté de se situer justement dans leur rapport aux personnes qui viennent chercher auprès d’eux aide et écoute spirituelles. Non, ils ne savent pas tout, non, ils n’ont surtout pas ” la ligne directe du Bon Dieu” comme le pensent implicitement bien des personnes. Ils n’ont à offrir d’abord que leur capacité d’écoute animée par le respect des personnes et leur propre désir de Dieu.
Auprès d’eux – tout aussi bien qu’auprès de femmes formées à l’écoute spirituelle – peut alors se trouver une aide précieuse, sage et respectueuse, qui a tout à voir avec l’aide apportée par un frère ou une soeur ainée plus expérimentée…et non par un pseudo père qui donnerait la vie ??
Non, seul le Père révélé dans le Christ donne la vie.
Ne mélangeons pas tout au nom d’une théologie sacerdotale mal fichue depuis trop longtemps.