Entre foi et repentance, le pardon chez les évangéliques

Je fais suite à L’EXCELLENTE CHRONIQUE DE PIERRE JOVA parue dans Cahiers Libres. Ce n’est en rien un droit de réponse ni même une contre-écriture. Mon but est tout simplement porter un regard plus nuancé, plus sensible, sur le monde évangélique. Si les propos de Pierre Jova, sont de qualité, ils méritent cependant un éclairage concernant la théologie évangélique de la rédemption, du pardon et de la réconciliation.
Chrétien de confession évangélique, j’ai été frappé par la conclusion « Le protestantisme évangélique […] affirme que la rédemption peut être demandée et obtenue sur-le-champ, il enseigne qu’il faut pardonner immédiatement… ». L’auteur évoque ensuite l’exemple de conversions qui « poussent parfois à des excès de zèle, qu’illustre le film sud-coréen Secret Sunshine, réalisé en 2007 par Lee Chang-Dong. Il dépeint une jeune veuve, Shin-Ae, dont le fils unique est tué par un maniaque. Détruite, elle trouve refuge dans une église évangélique, s’y reconstruit et décide d’aller pardonner à l’assassin. Mais celui-ci, entre-temps, s’est également converti, et lui répond qu’il n’a pas besoin de son pardon, puisqu’il est déjà sauvé ».
L’exemple cité par Pierre Jova ne doit pas enfermer le milieu évangélique dans ce qui, selon nous, constitue un raccourci et non la réalité d’une démarche vraie de conversion, de repentance et de pardon, partagé dans ces assemblées de confession chrétienne. C’est pourquoi, je souhaite examiner, à partir des propos de Pierre Jova, d’une part ce que représente la rédemption et d’autre part sa conséquence qui se traduirait par le devoir de pardonner instantanément…
Un fils éloigné, un père aimant : le fils prodigue.
Si en effet la rédemption et la réconciliation avec son prochain sont le cœur, la matrice de la foi évangélique, elles n’en constituent pas moins le socle commun à toutes les confessions chrétiennes. La rédemption est ancrée dans la foi en Jésus-Christ, tout comme la réconciliation est ancrée dans le pardon, tel celui qui est donné dans la parabole du «fils prodigue».
Dans cette parabole, l’un des fils réclame son héritage et va le dilapider. Puis, peu à peu, le fils entre dans une tragique spirale, sombre et, au plus profond de sa détresse, se remémore le temps où il vivait avec un père aimant, un père qui est demeuré dans cette relation de bienveillance avec un enfant qui a finalement abîmé sa vie mais décide d’entrer à nouveau dans ce cercle vertueux.
Pourtant, ce père n’a jamais renié ce fils qui s’est éloigné de lui. Le voyant de retour, au seuil de sa maison, il court l’embrasser et, devant son attitude de profonde tristesse, d’humilité, de regret, lui accorde son pardon sur le champ. Toute la dimension de la réconciliation professée par les évangéliques tient dans ce pardon donné par le Père, ce Père qui incarne l’amour sans conditions. Le pardon est ainsi résumé dans ce verset de l’Evangile de Jean 3, 16 1Ndlr : Les versets bibliques sont tirés de la traduction dite du Semeur, d’usage répandu chez les évangéliques. Les termes peuvent donc varier de ceux utilisés dans la liturgie ou les traductions communément pratiquées par les catholiques. : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui, ne périsse point… »
Le pardon, acte de foi et de repentance
Ce pardon ainsi donné est inconditionnel mais n’est toutefois pas sans conditions. Le pardon est en effet accordé par Dieu sans réserves à celui qui croit et décide de changer de voie. Il n’est pas le contraire de la justice mais est le prolongement d’un juge juste qui fait grâce, qui accorde sa bénédiction à celui qui se confie en lui, exactement comme le père de cette parabole que relate Jésus.
L’une des conditions pour que le pardon puisse être donné sans contredire la justice est d’abord la démarche de foi (je crois) qu’accompagne la repentance de l’homme à l’égard de son péché (j’agis), c’est-à-dire la pénitence sincère de l’âme. La repentance, dans les milieux évangéliques, s’inscrit dans une prise de conscience, il s’agit d’un retournement. Les non-croyants qui découvrent la foi chrétienne, par un long processus ou un parcours spirituel, se laissent saisir par l’expérience de la grâce. Le cheminement peut être plus radical et les textes du Nouveau Testament rapportent de telles conversions qui caractérisent également bon nombre d’assemblées évangéliques mais aussi d’autres dénominations chrétiennes.
Le pardon est un acte qui vient effacer, couvrir notre injustice, il n’exige aucune forme de pénitence à s‘infliger ce qui ne signifie pas que celui qui est touché par le désir de repentance soit exempté de toute démarche de réparation.
Le Christ, nouvel habit du cœur pardonné.
Le pardon, pour nous, chrétiens évangéliques, ne s’oppose nullement à l’exercice de la justice. Il est une invitation à vivre désormais un changement en portant les fruits de la régénération et non les stigmates du passé car la foi dans les blessures de Christ, mort à notre place, nous conduit à cette réconciliation. Christ nous revêt désormais d’un habit qui cachera pour toujours ce que fut jadis notre honte, l’opprobre de toute une vie.
On retrouve cette allégorie du vêtement dans les textes bibliques : Zacharie 3, 1-5 « Otez-lui les vêtements sales! Puis il dit à Josué: Vois, je t’enlève ton iniquité, et je te revêts d’habits de fête. »; Ephésiens 4, 23 « Revêtez l’homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité. »
C’est en revêtant Christ, en quelque sorte, que nous quittons désormais ce que fut notre ancienne vie de drogué, de dépravé, de meurtrier, de pécheur. Oui nous croyons que le pardon de Dieu est absolu et couvre une multitude de fautes. Esaïe 55, 6-7 : « Tournez-vous donc vers l’Eternel, tant qu’on peut le trouver, adressez-vous à lui tant qu’il est proche ! Que le coupable abandonne sa voie, et l’homme malfaisant ses mauvaises pensées ! Et qu’il revienne à l’Eternel qui aura compassion de lui, à notre Dieu qui lui accordera un pardon généreux ! »
Le pardon reçu, comme nous le concevons dans les confessions évangéliques, suppose une transformation intérieure, une metanoïa, qui ne résulte pas d’œuvres qui nous seraient comme imposées à la suite d’une remise de peine mais d’une démarche opérée avec le secours, la grâce et l’esprit de Christ en nous.
Celui qui a ainsi fait l’expérience d’une vie éloignée de Dieu, sans lois, transgressant toutes les morales, peut alors éprouver une immense reconnaissance contrairement à ceux qui ne ressentent pas le besoin d’être pardonné. Certes, les milieux évangéliques enregistrent des conversions qui frappent les médias et les amis issus de confessions plus traditionnelles mais celles-ci relèvent de la grâce. Dieu entend toucher quiconque le reçoit sans discriminer son origine, son statut, son parcours, son orientation.
Le pardon, étreinte du Père.
Il importe également de préciser que la foi et la repentance ne suivent pas une chronologie particulière, les deux démarches se vivant simultanément. Elles sont la marque d’un désir d’être changé et de s’engager sur un nouveau chemin, loin de ce que fut la vie passée.
Au fond, la conversion est cette aspiration à être étreint par Dieu, ce père qui embrasse le fils perdu. La repentance, pour nous chrétiens évangéliques, est le point de départ de la conversion. Selon nous, foi et repentance sont indissociables.
Lorsque nous nous engageons à la suite de Christ, nous nous tournons vers lui pour être pardonnés de nos péchés et nous acceptons de le revêtir, d’être désormais habité par lui.
En nous tournant vers lui, dans une démarche libre et non contrainte, nous sommes invités à le suivre désormais, à vivre en authentique disciples de Christ.
Or, être disciple, n’est pas s’astreindre à un rite, à vivre en se coupant des autres. Etre disciple, c’est savoir incarner la réconciliation, c’est porter en nous la réconciliation avec les autres. C’est pourquoi aucun chrétien ne saurait entrer lui-même dans une démarche où le pardon n’aurait pas de place. Pardonné, je suis exhorté désormais à en manifester les fruits, les fruits de la grâce, à commencer par l’amour de Christ pour être le prochain de quiconque.
L’authentique repentance conduit au salut.
Pour en revenir au propos de Pierre Jova, « la rédemption obtenue sur-le-champ », ce dernier ne nous choque pas et nous constatons que c’est une réalité. En effet, si celui qui reçoit les semailles de la bonne nouvelle est pénétré par cette volonté de se laisser envahir par l’amour de Christ et le désir de s’abandonner entre ses mains, il comprendra que l’authentique repentance conduit au salut. Ce salut, sans condition de temporalité et de preuves qu’il faudrait apporter, confirme la parole de Jésus au malfaiteur qui considérait juste la peine reçue et implorait Jésus de ne pas l’abandonner. Le malfaiteur fut pardonné sur-le-champ. Souvenons-nous que la justice de Dieu transcende nos normes. La parabole des ouvriers de la dernière heure souligne cet aspect d’une justice divine qui n’est décidément pas fondée sur des critères humains.
Pierre Jova précise ensuite que le « protestantisme évangélique enseigne qu’il faut pardonner immédiatement… ». Sur ce point nous sommes beaucoup plus nuancés que lui. En effet le pardon ne peut être accordé que si une démarche de repentance est engagée pour que la réconciliation puisse avoir lieu. La foi évangélique est centrée sur la personne de Christ mais elle n’occulte pas la personne, son passé, ses blessures, ses traumatismes. La vie chrétienne suppose la compassion, la commisération. Une personne qui change de vie a une histoire et son histoire ne s’efface pas. Christ engage dans le cœur de la personne avec la délicatesse de son Esprit, une œuvre de guérison, de restauration, de transformation.
Nous recommandons à nos lecteurs le livre de Jacques Buchhold, Doyen de la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine : « Le pardon et l’oubli ». Dans ce livre l’auteur précise que la démarche de pardon du prochain est exigeante et « pas sur-le-champ ». Le pardon révélé par Jésus-Christ apparaît comme la manifestation absolue de l’amour; le pardon est un défi, mais c’est avant tout une exigence. Il s’agit avant tout de se mettre en route, de s’appuyer sur la grâce qui transforme, change notre regard sur les autres, mais cela relève rarement d’une démarche instantanée et superficielle. Le pardon doit toucher aux entrailles et être vécu avec profondeur, humilité.
Eric Lemaitre
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Notes :
1. | ↑ | Ndlr : Les versets bibliques sont tirés de la traduction dite du Semeur, d’usage répandu chez les évangéliques. Les termes peuvent donc varier de ceux utilisés dans la liturgie ou les traductions communément pratiquées par les catholiques. |
Une réponse à “Entre foi et repentance, le pardon chez les évangéliques”
«Ce pardon ainsi donné est inconditionnel mais n’est toutefois pas sans conditions»
Je pense que tu voulais utiliser un autre mot que “inconditionnel” (total? Définitif?) ici, sinon il y a contradiction dans les termes.