Europe, qu’as-tu fait de ton âme ?

Dix ans se sont écoulés depuis le “non” français au référendum sur la Constitution européenne en 2005, suivi par le “nee” néerlandais. Place à la nostalgie parmi les anciens “nonistes”, de vote, comme de sentiment, chacun y est allé de son petit commentaire, de son émouvant témoignage.
Les uns se souviennent de leurs premières armes politiques. Du jeune gauchiste révolté contre l’Europe des marchands, au blanc-bec souverainiste défendant sa patrie. Les autres déplorent avec une lucidité triste que cette belle victoire populaire, remportée à contre-courant des partis et médias dominants, n’ait débouché sur aucune dynamique politique. La gauche radicale est retombée dans ses querelles de chapelles (moqueurs, certains militants chantonnent ainsi, sur un air nantais bien connu: “à trois, c’est la scission, la ligue-la ligue, à trois, c’est la scission, la ligue à Léon Trotsky…“). La droite souverainiste a été étouffée dans l’UMP, et asséchée par le FN. Pire, le “non” a été escamoté, rendu nul et non avenu par l’adoption du Traité de Lisbonne, en 2007, par un Parlement aux ordres. Un texte qui reprenait l’essentiel du Traité constitutionnel, quelques symboles en moins. L’année suivante, l’Irlande, ayant l’outrecuidance de rejeter ce Traité par référendum, fut sommée de le “revoter”, après d’intenses pressions.
Dix ans pour quoi ?
Quel que soit notre positionnement sur l’Europe, ce passage en force, au mépris des consultations nationales, ne peut que choquer. On nous avait promis de la pédagogie, une Union toujours proche des citoyens, moins de technocratie. Il n’en fut rien. Votre serviteur se souvient de sa désillusion de l’élection européenne de 2009. Saturé de slogans creux, de malhonnêteté et de postures hypocrites, le scrutin fut un théâtre d’ombres, à l’image du sarkozysme, à peine porté au pouvoir, mais déjà finissant, sous lequel se prélassait mollement le “peuple de droite”, attendant quelque chose.
Dix ans après ce “non”, symptôme qui exprimait tout à la fois une défiance envers les élites, un sentiment de dépossession nationale, et un rejet du libéralisme dérégulé, l’Europe désavouée n’a pas changé de trajectoire. Le “non” avait gagné une bataille, mais c’est le “oui” qui a gagné la guerre. Les tractations au sein de la Commission et du Parlement sont à des années lumières des citoyens. Le marché commun supplante l’Europe sociale. L’appartenance à l’OTAN de la quasi-totalité des États membres rend vaine toute diplomatie européenne indépendante. Au moins, l’Europe de la défense, rejetée par l’échec de la CED en 1954, existe-t-elle. Mais elle est sous bannière américaine.
Dix ans après le “non”, l’Europe s’apprête à dire “yes” au Traité de libre-échange euro-américain, TAFTA pour les intimes. “Le marché est plus grand que l’Europe”, disent les Britanniques ? Il va désormais s’étendre de Seattle à Riga, et confier aux multinationales les dernières clés dont les gouvernements disposent en économie. Les gardes-fous sociaux et environnementaux vont être sacrifiées sur l’autel de la soumission ultime au suzerain de Washington. Que l’Europe se soit historiquement créée sous parapluie américain, contre l’URSS, cela se comprenait. Qu’elle y demeure, en 2015, alors que l’OTAN n’a plus de raison d’être, que le libre-échangisme démontre ses limites, et que les États-Unis se tournent vers l’Asie, cela relève du non-sens.
Le gâteau de l’apostasie
L’Europe, comme le répète l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, “ne sait pas qui elle est, ni ou elle va“. La non-inscription des racines chrétiennes dans le projet de Constitution n’est pas vraiment en cause: les racines, c’est quelque chose qui est enfoui, qui n’éclate pas. L’Europe doit continuer de vivre d’individus qui croient en Dieu, non dans les “racines”, ou les “valeurs” chrétiennes. Du reste, les pays d’Europe du Nord, chrétiens luthériens ou anglicans par la loi de l’État, n’en ont pas moins apostasié. Ce ne sont pas les institutions, les symboles, qui fuient l’héritage spirituel de l’Europe, ce sont les propres citoyens du continent. Le vide moral s’étend partout, qui viendra le combler ?
L’Irlande fut le berceau de l’Europe chrétienne. Les druides christianisés se changèrent en missionnaires, qui allèrent jusqu’en Suisse fonder des monastères, éclairer les peuples de leur savoir. En mai 2015, la République d’Irlande sécularisée légalise le mariage gay par référendum, dans un océan de consumérisme (Twitter, Google et Facebook, se substituant au législateur, en finançant le scrutin). Les six comtés qui demeurent dans un giron britannique appelé Irlande du Nord, eux, se déchirent autour du procès McArthur: cette famille de pâtissiers protestants a été condamnée le 18 mai dernier pour avoir refusé de servir un gâteau avec le slogan “Support Gay Marriage”. L’Irlande du Nord n’a pas autorisé le mariage gay, mais elle punit sévèrement la “discrimination sexuelle”. Les McArthur sont sommés de marcher sur leur conscience, car “ils tiennent un commerce pour en tirer profit“, selon le juge de Belfast, et doivent respecter les souhaits du consommateur. Ironie de la situation, les McArthur sont défendus par les protestants unionistes, partisans du Royaume-Uni, et anticatholiques fervents, et par… l’Église catholique, alors que le Sinn Fein, le parti catholique irlandais historique, soutient la décision de justice.
Un printemps des peuples
Pour redonner à l’Europe un supplément d’âme, la tâche est titanesque. Le chrétien est “avantagé” dans ce chantier: sa foi lui enseigne que son chemin spirituel se fait à petits pas, à son niveau, par sa conversion personnelle et les changements qui en découlent, puis se transmet aux autres, par contagion. Il jouit également d’une lucidité qui le protège des lendemains qui déchantent et des utopies faillibles. Le chrétien perçoit enfin la nécessité de parler à son prochain, pour œuvrer au bien commun. Il a donc une opportunité inouïe d’aller “aux périphéries” de son milieu, afin d’aider, comme on dit chez les Scouts d’Europe, à “bâtir une Europe unie et fraternelle“, et par là de réhabiliter le christianisme comme âme et conscience des peuples. Le christianisme défend la place du pauvre, la limite, l’incarnation. Toutes choses qui ont un écho chez nos contemporains.
Concrètement, la place du chrétien est de s’engager aux côtés de ce qui se substitue aux peuples, et d’être force de propositions. Cela peut prendre des formes variées. Certains, comme votre serviteur, déplorant que la mobilisation face au monstre TAFTA qu’on nous promet tarde à éclore, s’engageront aux côtés de mouvements qui ont un logiciel idéologique qui exclut a priori le christianisme, mais qui ignorent qu’ils peuvent cheminer avec lui. D’autres, travailleront à une convergence des sensibilités politiques, sur les bases élémentaires du patriotisme, du respect de l’écologie dans toutes ses formes, de la subsidiarité, ou encore de la liberté d’opinion. L’association Critique de la raison européenne de Sciences Po, ou le Comité Orwell de journalistes nouvellement créé, vont dans ce sens.
L’Europe pourrit par le haut. Si elle doit vivre, c’est par le bas qu’elle se détournera de ses impasses.
Pierre Jova
Une réponse à “Europe, qu’as-tu fait de ton âme ?”
@ l’auteur
j’en ai marre (et le mot est faible) de lire des gens qui, par ailleurs, se disent chrétiens, passer une partie de plus en plus importante de leur vie à conspuer leur prochain, homosexuel.
Non la république d’Irlande n’a pas légalisé de “mariage gay”, elle a ouvert par référendum l’institution du mariage civil aux couples d’hommes et aux couples de femmes. C’est la même institution, pas un nouveau truc pour les gays. Nous n’avons aucun privilège, nous rejoignons le lot commun.
Non la république d’Irlande n’a pas organisé ce référendum par “consumérisme”. Tous les partis politiques y ont contribué, tous ont soutenu cette réforme. Elle a au final aussi été soutenue par la population. Notre mode de vie n’est pas apparu avec la société de consommation. Nous existons à vos cotés sans doute depuis les débuts de l’humanité.
Non on ne somme pas les McArthur de “marcher sur leur conscience.” La justice leur demande de respecter la loi. Cette même loi qui protège tout un chacun des dérives sectaires des uns ou des autres. Que direz vous si, un jour, M. Jova, je me permettais de vous dire qu’en raison de mes convictions philosophiques ou religieuses, je refuse de vous vendre un morceau de pain parce que vous êtes catholique ? Et ce, alors que vous avez faim ? La loi est la chose commune, la chose publique. Ce qui est valable pour les uns l’est aussi pour les autres. Et rien n’oblige à choisir un métier où l’on sert les clients sans avoir d’états d’âme. Ma grand mère, catholique, ouvrait son magasin le dimanche matin pour que les “bonnes âmes” puissent faire leurs courses en revenant de la messe. Je ne l’ai jamais entendue mot dire sur ce sujet. Faites de même ou changez de job.
J’en ai marre que nous, les LGBT soyons passés du statut de gens méprisables (ce que nous avons longtemps été pour les “bonnes gens” que vous êtes) au statut d’ennemi de l’humanité. “L’adoption du mariage homosexuel n’est pas seulement une défaite des principes chrétiens, mais une défaite pour l’humanité” – Cardinal Parolin. L’adoption d’une réforme qui me permettrait d’avoir un statut légal pour mon couple est une défaite pour l’humanité ?
Mais pour qui vous prenez vous ? Qui êtes vous, pauvres parodies de chrétiens pour oser regarder vos frères et soeurs ainsi ? “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” Avez vous oublié ce commandement de Jésus lui même ?
Si l’Europe pourrit en ce moment, c’est par une partie de ses racines. Vous avez transformé votre foi en un truc identitaire. Elle ne vous sert plus à aimer le monde et à le comprendre, elle vous sert à le juger à l’aune de votre petite définition de ce qu’est l’humanité. Vous passez plus de temps à mépriser, craindre et rejeter l’autre, le différent qu’à l’aimer et le respecter.
Je ne vous demande pas de nous aimer, c’est visiblement au dessus de vos force. Vous êtes tombés si bas que vous ne savez plus aimer. Mais au minimum, le minimum qu’on est en droit d’attendre d’un humain digne de ce nom, vous avez l’obligation de respecter celle et celui qui marche à vos cotés dans la vie comme dans la rue. Je ne demande nulle approbation de ce que je suis. Pour cela, il vous faudrait faire l’effort de me connaitre. Mais si vous voulez mon respect, faites en sorte que j’aie le vôtre.
Sinon, les modérés dont je suis vous diront un jour d’aller en enfer puisque c’est là, visiblement, que vous semblez vivre. Dans un monde que vous avez renoncé à aimer puisqu’il a l’outrecuidance de ne plus vous considérer comme l’unique modèle d’humanité.
Il est temps de vous ressaisir. Temps de vous débarrasser de cette haine et de ce mépris que vous avez dans le coeur. La main est encore tendue même si nous sommes en colère face à votre incommensurable complexe de supériorité. Faites en sorte de ne pas arriver en retard. Le catholicisme a beaucoup à apporter au monde. Nous souffririons tous de le voir disparaitre. Mais cessez d’en faire votre chose. Ni Dieu ni le paradis ne vous appartiennent.
Reprenez vous.
M.