Passer par Emmaüs pour aller aux périphéries existentielles…

Emmaus, Arcabas.
« Les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment ils avaient reconnu le Seigneur quand il avait rompu le pain. » Il y a huit ans de cela, au cours de l’Angelus du troisième dimanche de Pâques, le Pape Benoît XVI disait que si la localité d’Emmaüs « n’a pas été identifiée avec certitude (…) le chemin qui y conduit est le chemin de chaque chrétien, bien plus encore, de chaque homme. Sur nos chemins, Jésus ressuscité se fait compagnon de voyage, pour rallumer dans nos cœurs, la chaleur de la foi et de l’espérance et rompre le pain de la vie éternelle ».
Il y a presque mille cinq cents ans de cela, le Pape saint Léon disait à propos des deux disciples: « A l’intérieur d’eux-mêmes, les disciples aimaient et doutaient tout à la fois ; à l’extérieur, le Seigneur leur était présent sans cependant manifester qui il était. A ceux qui parlaient de lui, il offrait sa présence ; mais à ceux qui doutaient de lui, il cachait son aspect familier, qui leur aurait permis de le reconnaître. »
Pourquoi une telle feinte ? « Il feignit d’aller plus loin. Feindre [fingere] peut aussi vouloir dire [en latin] modeler ; (…) la Vérité, qui est simple, n’a donc rien fait avec duplicité, mais elle s’est simplement manifestée aux disciples dans son corps telle qu’elle était dans leur esprit. » Qu’est-ce à dire ? Saint Léon nous permet de comprendre que parfois nous modelons en nous-même une image de Dieu qui n’est absolument pas conforme à l’original. C’est pourquoi Jésus se présente dans un premier temps aux disciples d’Emmaüs comme un étranger, car il n’était encore pour eux qu’un étranger. Dit autrement, les disciples, malgré un réel compagnonnage avec le Christ n’avaient pas saisi qui il était en vérité. Jésus, en bon pédagogue, va leur permettre de le connaître non plus par les sens, mais par la foi.
Vers des rencontres authentiques
Recevoir l’Eucharistie nous aide à vivre cette rencontre. En effet, en communiant nous recevons la vie du Christ mort et ressuscité pour nous. Ce dynamisme nous permet de nous recevoir de Dieu et de nous donner en vérité. Le sacrifice eucharistique est la source de grâces multiples dont celle du décentrement parfois douloureux de nous-même pour vivre de l’amour de Dieu et aller vers les autres: en se donnant, en leur donnant du temps et de l’attention… C’est cette grâce qu’ont vécue les deux disciples. C’est pourquoi l’évangéliste prend soin de nous dire que malgré leur fatigue, ils reprennent résolument la route de Jérusalem, le cœur tout brûlant, pour annoncer aux onze Apôtres qu’ils ont vu le Seigneur ressuscité.
Voilà pourquoi, comme dans l’Evangile de la semaine dernière, nous nous retrouvons de nouveau à Jérusalem, au Cénacle et tout d’un coup Jésus est « là au milieu d’eux et il leur dit : ‘La paix soit avec vous.’ » Tous les regards, toute l’attention, toutes les attentes de ses disciples et de l’humanité convergent vers Lui. Les premières paroles du Ressuscité sont des paroles de paix. En effet, la paix est le premier don qu’il nous fait, don que le monde attend et qui vient de Dieu seul. Sans la paix, rien de beau, de bon et de vrai ne peut se produire. La paix qui vient de Dieu favorise les rencontres authentiques, elle est une des conditions de la mission à laquelle le Christ veut préparer ses disciples. Notons au passage que cette rencontre authentique se fait « en Eglise ». Car, comme le dit saint Bède le Vénérable : « Que personne ne s’imagine arriver à la connaissance vraie de Jésus-Christ s’il ne s’unit à son corps, c’est-à-dire l’Eglise, dont l’Apôtre nous montre le centre d’unité dans le sacrement du pain, quand il nous dit : ‘Nous sommes un seul pain et un seul corps[1].’ »
“Quand il mange, il le fait par puissance et non par nécessité”
« Frappés de stupeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit, Jésus leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous bouleversés ?’ » De nouveau nous pouvons constater la difficulté de croire en la résurrection, ce qui fait dire à saint Augustin que « ces pensées qui s’élevaient ainsi dans leurs cœurs n’étaient plus ces pensées venues d’en-haut, les pensées qu’il avait semées lui-même ; c’étaient des pensées qui croissaient d’elles-mêmes comme les mauvaises herbes d’un terrain en friche[2]. » La foi des Apôtres est mélangée, comme le grain et l’ivraie de la parabole. Voilà pourquoi l’évangéliste précise que « dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. » Aussi, pour convaincre ses Apôtres du caractère corporel de sa résurrection, Jésus « leur montra ses mains et ses pieds… » et fit appel à leurs sens notamment la vue et le toucher. Plus encore, Jésus leur demande quelque chose à manger. C’est ainsi que les disciples « lui offrirent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea devant eux. » Saint Augustin de s’émerveiller : « Avec quel soin ce bon architecte travaille à l’édifice de notre foi ! Il n’avait pas faim, et il demande à manger ; et quand il mange, il le fait par puissance et non par nécessité[3]. » En effet, le Christ glorieux, plus précisément son corps glorieux n’a pas besoin de nourriture. Ainsi nous pouvons dire que Jésus mange devant ses Apôtres par charité. Il voulait fonder leur foi en la Résurrection sur des bases solides. C’est pourquoi Il leur donne une preuve de sa Résurrection corporelle que tout le monde peut comprendre.
En outre, il ajoute : « Rappelez-vous les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il fallait que s’accomplît tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures. » Comme sur le chemin d’Emmaüs avec Cléophas et son compagnon, Jésus ressuscité se fait auprès des Onze l’exégète de ses propres paroles. Cette expérience n’est pas réservée à une élite, mais à chacun de nous. Cette rencontre bien réelle est possible à chaque instant et d’une manière éminente lorsque nous participons à la Messe. En effet, ainsi que le constate Benoît XVI : « Ce superbe texte de l’évangile contient (déjà) la structure de la Sainte Messe avec dans la première partie, l’écoute de la Parole à travers les Saintes Écritures et dans la deuxième, la liturgie eucharistique et la communion avec le Christ présent dans le Sacrement de son Corps et de son Sang ».
Et Jésus de conclure : « C’est bien ce qui avait été annoncé par l’Écriture : les souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les morts le troisième jour, et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins. » A la suite du Pape François, comme Il l’a fait jadis avec les Onze, Jésus nous envoie annoncer aux périphéries existentielles le mystère de sa mort et de sa Résurrection et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés …
Bon dimanche et bonne semaine à tous.
Pod
[1] Commentaire de l’Evangile selon saint Luc
[2] Sermon CCXXXVII
[3] Sermon CXVI.
Une réponse à “Passer par Emmaüs pour aller aux périphéries existentielles…”
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