Syriza et Podemos, des bonnes nouvelles pour la gauche

Sitôt les résultats des élections grecques connus le 25 janvier au soir, les différents partis de gauche français se sont empressés de voler au secours de la victoire de Syriza en se réclamant urbi et orbi de leurs points de convergence.
Syriza – et Podemos ambitionne de lui emboîter le pas – est venu trancher au milieu du ralliement consensuel de toutes les gauches européennes de gouvernement au dogme de la non-remise en cause du libéralisme, connu sous l’acronyme tatchérien de TINA (« There is no alternative », « il n’y a pas d’alternative ». En nommant ministre des finances un économiste au CV étoffé Yanis Varoufakis, la coalition grecque montrait dans le même temps au monde entier que la remise en cause de la financiarisation de l’économie et des mécanismes régissant actuellement l’économie mondiale s’appuie sur des travaux pointus et reconnus, et qu’elle n’est donc pas pure lubie de quelques rêveurs déconnectés du monde réel.
Un discours de gauche assumé
Sur le papier, Syriza et Podemos sont tout ce que la gauche française ne sait plus être. Un courant politique qui assume un discours basé sur la solidarité nationale et les devoirs des plus riches envers les plus pauvres ; qui fait passer la protection de ceux qui n’ont rien ou pas grand chose avant les intérêts de ceux qui, ayant déjà tout, veulent encore plus ; qui refuse que des biens (l’eau, l’électricité, la nourriture) et services vitaux (l’éducation, la santé, la survie financière des plus précaires) soient abandonnées aux lois du marché et au bon vouloir de généreux mécènes. Un courant qui ne considère pas comme un gros mot le terme de « peuple ». Un courant qui écoute les angoisses du peuple : Podemos est né du mouvement des Indignés ayant mis dans la rue des centaines de milliers d’espagnols en 2011. Un courant qui considère qu’en des temps où les très riches s’enrichissent encore plus et où la pauvreté augmente partout en Europe (le taux de pauvreté en Allemagne, ce pays au modèle tant vanté, était de 15% de la population en 2013), la priorité est peut-être ailleurs que dans le clivage d’un pays autour de grandes lois sociétales. Un courant qui n’a peur d’oser revendiquer une certaine souveraineté du pays, terrain abandonné depuis longtemps par la gauche française à la droite et à l’extrême-droite. Un courant, enfin, qui ne cède pas au chantage à l’exil des plus grosses fortunes du pays en assumant une augmentation des impôts pour ceux dont les revenus sont tels qu’ils ne peuvent plus décemment prétendre avoir un besoin vital. Contrairement à ce qui est souvent écrit, ces courants de gauche ne promeuvent pas la lutte des classes. Ils affirment qu’elle existe toujours sous la forme de l’enrichissement revendiqué d’une minorité au détriment des plus pauvres, par exemple en spéculant sur le prix des matières agricoles et la faim dans le monde (comme le font toujours des banques françaises).
Podemos possède aussi un atout que Syriza n’a pas : c’est un parti aux convictions écologiques radicales donné en position de force par les sondages. Il consacre toute une partie de son programme à la récupération de la terre. Réduction de la consommation de combustibles fossiles, promotion des énergies renouvelables, et surtout passage à un modèle agricole basé sur la stimulation des productions agricoles locales.
La fin des tabous
Syriza va-t-il à son tour trahir ses promesses, et devenir un de ces nombreux partis ayant renié dans un élan commun histoire et idéaux ? L’a-t-il déjà fait ? La question fait débat. Quoi qu’il en soit, l’arrivée au pouvoir d’une alternative au socialisme grec traditionnel et clientéliste du PASOK et de la dynastie Papandreou a permis d’entamer des débats impensables il y a encore quelques années. Le sociologue allemand Wolfgang Streeck, auteur d’un essai remarqué Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique (Gallimard, 2014), défendait lundi dans les colonnes du Monde l’idée que le salut de l’Europe passera par l’abandon de l’Euro. Renversement de perspective vertigineux, quand on y pense, par rapport à l’opinion communément admise selon laquelle la fin de l’euro entraînerait la fin de l’Union Européenne.
Surtout, l’état sanitaire du peuple grec, une des raisons du succès de Syriza, a forcé à remettre au centre de la réflexion des questions éthiques. En 2013, alors que l’une des seules allocations non supprimées était une prime mensuelle aux séropositifs, un rapport estimait que la moitié des nouveaux cas de séropositivité depuis 2010 était due à des contaminations volontaires pour toucher une prime permettant de ne pas mourir de faim. Face au cynisme d’une Christine Lagarde qui n’a à la bouche que le respect par la Grèce de ses engagements de paiement de sa dette, la misère du peuple grec nous force à nous demander si nous pouvons nous satisfaire de ce que le prix du respect de critères économiques fixés arbitrairement passe par l’appauvrissement forcé et l’humiliation d’un peuple. À l’heure où le président et le gouvernement français annoncent un nouveau plan d’économies pour satisfaire Bruxelles, cette même heure où on apprend qu’un français sur cinq renonce à des soins pour raison financières, cette réflexion éthique devrait être aussi la nôtre. La dégradation des services publics n’est pas réservée à la Grèce et à l’Espagne. La France organise depuis plus de dix ans la casse méthodique des hôpitaux, des écoles et des universités. Que reste-t-il de la défense des travailleurs et de la lutte contre tout ce qui fait augmenter la pauvreté, que reste-t-il des idéaux socialistes et des luttes de Jaurès – dont le parti socialiste continue à se réclamer – que reste-t-il de tout ça quand il n’y a plus de différence entre la politique d’un gouvernement de droite libérale assumée et celle d’un gouvernement de gauche ?
Quelles leçons pour la France ?
Alors, bien sûr, les détracteurs de cette gauche radicale reprochent à Syriza son alliance gouvernementale avec un parti nationaliste. Le numéro 3 de Podemos est soupçonné de fraude fiscale. Mais au-delà de ces critiques, le succès électoral de Syriza et les sondages favorables à Podemos disent quelque chose de l’attente de l’électorat de gauche. Ils nous disent qu’à force de ne pas vouloir revenir sur TINA, les partis de gauche traditionnels s’effondrent dans les sondages. Les brillantissimes 5% du PASOK aux élections grecques de janvier sont l’avant-goût des résultats électoraux du PS français s’il persiste sur cette ligne qui n’a plus de gauche que le nom. À Athènes, Syriza est présentée comme le dernier rempart avant l’arrivée au pouvoir des néo-nazis d’Aube Dorée. En France, les classes populaires se reportent sur l’extrême-droite, en partie parce que le Front National est le seul parti à poser les mêmes constats qu’elles et à se faire les échos de leurs inquiétudes, ce que le PS est incapable de faire depuis longtemps. Et le PS prétend enrayer la montée du Front National dans les sondages à coût de mesurettes ou de propositions tellement polémiques qu’on pourrait les qualifier de trollesques.
Oui, Syriza et Podemos sont de bonnes nouvelles pour la gauche, en France et en Europe. Elles posent crûment la question « Qu’est-ce qu’être de gauche ? ». Elles montrent qu’un discours radical de gauche n’est pas condamné à faire 3% dans les sondages et dans les urnes. Elles remettent l’économie à sa place, celle d’un moyen et non d’une fin en soi. Enfin, elles redonnent de l’espoir à tous ceux qui appellent de leurs vœux une traduction politique et gouvernementale de tous les constats alarmants sur la hausse des inégalités et de la pauvreté, et sur la crise économique et écologique.
Mahaut
Une réponse à “Syriza et Podemos, des bonnes nouvelles pour la gauche”
Sur la trahison de ses promesses par Syriza, il semble bien que les carottes sont déja cuites. Des son arrivée au pouvoir, il clamait qu’il voulait redresser l’état social du pays ET rester dans la zone € . Boire ou conduire, il faut choisir! Dès ce moment on ne pouvait que se demander qui il trahirait. Le choix est fait, l’Etat grec va se délecter des félicitations communautaires au lieu de conduire de vraies réformes. Mais ça ne va durer, la grèce, non compétitive dans le libre-échange mondial libéral dont l’UE est le portail ne pourra jamais rembourser sa dette. Syriza n’aura été qu’un qu’un parti leurre, comme le FN en France.