Réaction sexuelle vs. révolution sexuelle

Voici une thèse provocatrice : ce que nous appelons « révolution sexuelle » n’est pas une révolution, mais plutôt une réaction, au sens politique du terme, c’est à dire une tentative de retour en arrière, vers le paganisme.
Le christianisme, vraie révolution sexuelle
Le christianisme a été une révolution dans le monde antique, particulièrement dans le domaine de la sexualité.
Je pense que la meilleure manière de le comprendre est de se rappeler la citation du catholique Oscar Wilde : «Tout est une question de sexualité, sauf la sexualité. La sexualité est une question de pouvoir ».
Dans le monde antique, que la sexualité soit une question de pouvoir était un fait couramment accepté. L’ordre social était défini comme une hiérarchie de cercles concentriques. Au centre, le citoyen libre, mâle et puis en cercles concentriques, les femmes, les affranchis, les étrangers, les enfants, etc. Le paradigme principal concernant la sexualité n’était pas hétéro/homo, marié/non-marié, ni reproductif/non-reproductif : c’était actif / passif ou dominant / dominé, et le plus grand tabou était qu’une personne supposée “active” soit en réalité “passive”.
C’est pourquoi l’esclavage sexuel (en particulier des enfants) ne posait pas de problème, non plus que l’homosexualité, tant qu’elle impliquait un homme âgé et un homme jeune afin qu’il soit clair que cette relation avait un participant “actif” et un “passif”. Le mariage hétérosexuel était également parfaitement compris, puisque les femmes avaient un statut social inférieur aux hommes.
Il est intéressant de s’attarder une seconde sur le monde que ces croyances ont créé. La pratique de l’expositio – l’exposition des enfants – était répandue et non problématique, puisque les enfants avaient un statut inférieur à celui des adultes. Et les sources qui subsistent convergent : leur sort était soit la mort soit l’«adoption» en vue de l’esclavage, souvent sexuel puisque c’était l’usage le plus profitable d’un enfant. Les bordels spécialisés dans l’esclavage des enfants étaient des entreprises légales et ayant pignon sur rue ; il semble qu’ils se spécialisaient en majorité dans les esclaves sexuels garçons. Des sources décrivent la sexualité avec des esclaves castrés comme particulièrement excitante, et d’autres que les bébés étaient parfois castrés pour qu’ils puissent travailler dans les bordels plus tard. Les apologues païens ont méprisé les chrétiens qui non seulement ne pratiquaient pas l’expositio mais en plus sauvaient les enfants ainsi exposés et les adoptaient.
Quand Suetonius condamne Tibère parce qu’il «apprend aux enfants dès le plus jeune âge, eux qu’il appelle ses petits poissons, à jouer entre ses jambes alors qu’il était dans son bain» et «que ceux qui n’avaient pas encore été sevrés, mais étaient robustes, il leur imposait des fellations», il n’écrivait pas avec horreur, ou pensant que son audience en éprouverait. Il se moque plutôt de lui pour son manque de maîtrise de lui-même et pour son penchant excessif pour les bonnes choses.
La sexualité a toujours été un lieu de pouvoir, de domination. Et cela peut être excitant (ne nous mentons pas). Mais le christianisme est advenu, proclamant une éthique très différente. Paul décrivait les relations maritales comme une analogie de la relation entre le Christ et l’Eglise, une relation qui était, bien sûr, celle d’un don de soi jusqu’à la mort. Dans une civilisation toute entière tournée vers le pouvoir, le christianisme proclamait la fin du pouvoir. La sexualité était empreinte d’une dimension sacrée, impliquant qu’elle ne pouvait s’exercer que dans un cadre précis, précisément parce qu’elle n’était pas une question de pouvoir mais de don de soi, comme le Christ était ce Roi qui a remporté la victoire en mourant sur la Croix.
Pour le christianisme, cette facette de la sexualité est facile à comprendre : la soif de dominer provenait du péché, du péché d’Adam, et il n’est pas surprenant qu’elle prenne une telle importance dans une dimension si centrale de nos vies qu’est la sexualité. Dans une lecture classique du christianisme, le péché n’existe pas en tant que tel, mais plutôt comme un manque ou une corruption du bien. La sexualité est un bien, mais à cause du péché, elle doit être disciplinée et purifiée en une forme de don de soi similaire à celui du Christ, que ce soit par la continence ou la sexualité conjugale.
Et il n’est pas surprenant que l’Ancien Testament comme les épîtres de Paul lient à ce point paganisme, idolâtrie, et perversion sexuelle. Pas uniquement du fait de pratiques comme la prostitution sacrée mais parce que le monde païen est un monde où «tout est question de sexualité, sauf la sexualité, qui est une question de pouvoir ». L’ordre païen est un ordre de domination en chaîne : l’homme sur la femme, l’homme libre sur l’esclave, le citoyen sur l’étranger, partenaire sexuel dominant sur partenaire sexuel dominé. La sexualité païenne mène à une vision du monde païenne et vice versa.
Quelques signes des temps pour aujourd’hui
Tout ceci est une manière un peu longue de dire « Hey, n’avez-vous pas remarqué que 50 nuances de Grey est un phénomène culturel ? »
L’humain reste humain. Comme en économie, si vous vous débarrassez de tout règle, ce qui arrive n’est pas l’émergence d’une utopie. C’est plutôt que le fort domine le faible. Et la domination sexuelle est liée à la domination sociale : le NY Times soulignait ainsi récemment que le libertinage dans l’école publique entretient les inégalités sociales.
Cela souligne la possibilité que nous ne soyons pas en train d’être témoins d’une «révolution sexuelle» mais bien d’une réaction sexuelle : le retour des Bourbons qui veulent renverser la révolution sexuelle chrétienne et retrouver les bons vieux jours du paganisme.
Bon, la plupart de nos “révolutionnaires” sont en fait repoussés par le caractère abusif des ’50 nuances’ et d’autres facettes des mœurs sexuelles actuelles. Une fois encore, la plupart des jureurs du Serment du Jeu de Paume étaient horrifiés par le Comité de Salut Public, mais certains génies sont très difficiles à renvoyer dans leur bouteille.
Mais je ne veux pas pousser cette analogie trop loin. Je la propose juste comme une provocation.
Tout d’abord, la contraception artificielle a réellement changé les choses – cela représente une vraie “révolution”. De plus, même si nombre de nos pratiques sont païennes, ce n’est pas le seul fait notable. Le fait qu’Oscar Wilde, au 19e, puisse encore parler de sexualité comme d’un lieu de pouvoir démontre que la “Chrétienté” a en fait été très peu baptisée. Retrouver une authentique éthique sexuelle nécessitera une vraie créativité (comme le “nouveau féminisme” que Jean-Paul II appelait de ses vœux) et pas un retour à l’état originel.
Car en définitive, c’est nous qui sommes les vrais révolutionnaires.
Par @pegobry
(Billet original traduit et adapté par Incarnare)
Une réponse à “Réaction sexuelle vs. révolution sexuelle”
Evident! Disposez-vous d’une lettre électronique?Si oui,merci de me l’adresser!Avez-vous un rapport avec les anciens ” cahiers libres” qui éditaient des extraits de romans dont ceux de mon grand-père,Albert Erlande?