Le carême : une bonne occasion de se taire ?

Se garder des paroles oiseuses : essentiel ou hypocrite ?
Nous sommes en carême ! En plein désert ! C’est désert, un désert ! On a beau s’époumoner, personne ne vous répond ! L’écho de vos paroles vous revient sans accusé de réception identifiable. Mais à quoi bon, si ce temps de jeûne est censé être propice au silence, au mutisme ?
Parler moins. La langue n’est-elle pas l’organe que le péché affectionne le plus ? C’est Saint Jacques qui l’affirme :
« La langue est un petit membre, mais elle peut se vanter de grandes choses. Voyez quel petit feu embrase une grande forêt ! La langue aussi est un feu, le monde de l’iniquité. La langue se comporte parmi nos membres comme celui qui infecte le corps tout entier et enflamme le cycle de l’existence, enflammée qu’elle est par la géhenne. Bêtes sauvages et oiseaux, reptiles et animaux marins de toute espèce sont domptés et ont été domptés par l’espèce humaine, mais la langue, aucun des hommes ne peut la dompter : fléau sans repos, remplie qu’elle est d’un venin mortel. Par elle nous bénissons le Seigneur et Père, et par elle nous maudissons les hommes qui ont été faits à l’image de Dieu ! » (Jc 3,6-9).
C’est entendu, il faut réfréner notre penchant à jacasser. Car à force de parler, on finit tôt ou tard par médire, par propager des rumeurs, quand ce n’est pas calomnier ! Si le carême est un temps de désert, il aura au moins cette vertu.
Mais il ne suffit pas de se taire, il est nécessaire également de ne pas donner à l’autre l’occasion de pécher. Nous ne sommes pas seulement responsables de nous-mêmes, mais aussi de nos frères. Est-ce à dire qu’il faille fuir les discussions, les dialogues ? Non, bien sûr. Mais l’oreille, comme la langue, doit apprendre la chasteté. Si une conversation dérape, ne nous bouchons pas les oreilles, comme des hypocrites, en nous disant : « Mon Dieu, je ne suis pour rien dans les propos infâmes tenus par X ! Merci de ne pas me les compter, de ne pas les porter sur mon ardoise ! ».
Non, la bonne attitude dans ce cas consiste plutôt à avertir notre interlocuteur que son propos est déplacé. Tans pis si nous passons pour des rabat-joie, d’insupportables censeurs ! Le livre du Lévitique nous le demande explicitement : « Tu devras réprimander ton compatriote. » Pas facile, ça ! Nous voulons tellement être aimés ! Mais le carême est le carême : nous ne sommes pas dans le désert pour nous faire plaisir ! Toutefois, pas de panique : il existe toujours une bonne manière de reprendre son frère sans poser en moraliste sourcilleux, ou en tartuffe drapé dans une dignité factice.
L’intériorité tire également bénéfice du silence. Il représente une période de latence durant laquelle le recueillement de l’esprit prépare la parole à surgir comme une rosée sur une terre matinale. De même que le carême précède la joie pascale, de même la méditation silencieuse est la meilleure condition d’ensemencement du verbe avant son extériorisation. En attendant de la prononcer, l’homme doit accueillir la parole, lui offrir l’hospitalité au plus profond de lui-même.
Cependant, se garder des paroles oiseuses, est-ce possible sans devenir un anachorète, sans se couper de la compagnie des hommes ? A chacun de voir, selon sa situation, sa profession, sa vie familiale. Si le carême dope notre ingéniosité dans ce domaine, tant mieux. L’ascèse chrétienne ne consiste pas en un catalogue de recettes, ou d’actions permises ou défendues. On peut prendre un café, en terrasse ou au boulot, avec un(e) ami(e), tout en échangeant des propos intelligents ! Mais si ! La réalité n’est pas condamnée à singer la fiction. Nous avons le droit de ne pas reproduire dans nos existences l’inanité de la télé-réalité.
Le carême n’est plus visible ! Doit-on le taire ?
Jeûner de bavardage ne signifie pas cependant fermer les yeux sur tout. Par exemple, est-il normal que les médias se désintéressent complètement du carême, alors qu’elles saluent avec force articles et reportages l’entrée en ramadan de nos compatriotes musulmans ? Certes, nous sommes passés d’un christianisme sociologique et d’appartenance, à un christianisme de conviction, nous explique-t-on. La démarche serait maintenant individuelle, dénuée de la pression des regards extérieurs.
C’est bien beau, ce constat sociologique, mais cela ne fait rien à cette donnée : jeûner tout seul, dans son coin, n’est pas évident. La force du ramadan ne réside-t-elle pas dans sa dimension collective ? Les chrétiens forment un peuple. Si nous montons vers Pâques de manières différentes, chacun à son rythme, ne serait-il pas possible toutefois d’entreprendre cette démarche ensemble ?
Au-delà de cet aspect de la pratique du carême, reste cette question : pourquoi le temps spirituel le plus important de l’année a-t-il disparu des radars médiatiques ? Cette question concerne davantage que la sociologie des religions. Beaucoup de chrétiens, isolés, se demandent s’il existe encore un capitaine dans le bateau « Eglise » en France.
Non seulement nous ne devons plus nous taire au sujet de la foi qui nous anime, qui nous entraîne, mais il devient également irresponsable de garder le silence plus longtemps sur ce point précis : le carême n’a plus d’existence sociale en dehors des chrétiens convaincus. Et les autres ? Comment leur proposer de marcher avec nous dans notre montée vers Jérusalem, si les mots « carême », jeûne », « Pâques », n’évoquent plus rien pour eux ? Une question qu’il vaut la peine de se poser.
Un des trois piliers du carême est le partage, l’aumône (avec le jeûne et la prière). Pourquoi ne pas « partager » le carême ? Ce qui suppose de lui assurer une certaine visibilité. Non afin de nous pavaner, de nous pousser du col, nous vanter de notre humilité, d’exposer en pleine lumière nos mines d’ermites fourbus par les privations, mais de porter à la connaissance des pauvres que c’est maintenant le moment favorable, le temps de revenir à Dieu.
Ce sont en effet les plus faibles qui pâtissent le plus de l’occultation de ce temps de grâce que le Seigneur nous propose. C’est le carême qu’il s’agit de (re)mettre en valeur, non ceux qui tentent, cahin-caha, de suivre Jésus en direction de la ville sainte (d’ailleurs, que le pratiquions ou non laisse la plupart des gens indifférents – tant cette pratique est malheureusement « exculturée »).
Le carême ne doit pas servir de prétexte à occulter les sujets qui fâchent. Nous avons beau être « enfouis » durant quarante jours, les problèmes, eux, ne le sont pas – notamment celui de la déchristianisation. Ils demeurent, et attendent que nous les abordions à bras le corps. Le carême n’a jamais consisté à mettre notre lucidité en veilleuse.
Jean-Michel Castaing
Une réponse à “Le carême : une bonne occasion de se taire ?”
j’apprécie beaucoup ton article ,Jean-Michel ,et le diffuse
a bientôt
marie-noël
as-tu vu le film “M “et le 3eme secret ???
il repasse a st go ,le jeudi 12 mars a 21h au régent
union de prière
marie-noel