Le nihilisme djihadiste

L’actualité hebdomadaire a mis en avant deux réapparitions. Celles d’inconnus, mis en lumière par nos écrans nous parlant de l’autre bout du monde une langue que nous ne comprenions plus. Deux jeunes français qui ont quitté leur pays et leurs familles pour rejoindre une cause qui nous dépasse, celle du djihad.
Ce qui frappe n’est pas tellement leur départ, ils ont déjà été des centaines à s’y rendre, mais ce qu’ils sont. Du moins, ce qu’ils ont été. Mickaël et Maxime proviennent de classes moyennes, élevés dans un milieu catholique, à la campagne. Loin des clichés habituels. Qu’est ce qui a pu motiver un tel départ, entraîner pareil bouleversement personnel ?
Sur France Inter, un journaliste justifiait que ces jeunes n’ont « pas choisi l’islam mais la radicalité ». La remarque est pertinente en ce qu’elle dissocie la religion du fanatisme. Elle l’est d’autant plus quand on la rapproche du nihilisme.
Le titre de cet article peut apparaître comme un paradoxe. Comment peut on être nihiliste, ne croire en rien, et partir dans le même temps pour le djihad, c’est à dire appliquer les principes extrêmes d’une religion auquel on croit, justement. Ces remarques, André Glücksmann les a déjà relevés quand il recherchait le nihilisme dans les attaques du 11 septembre 2001, dans un livre au titre évocateur, Dostoïevski à Manhattan. C’est en effet habituellement l’Occident qui vêt les oripeaux nihilistes : perte des valeurs, absence du sens, mort de Dieu…L’ouvrage de Glücksmann prend le contre-pied et présente les terroristes comme des hommes de l’entre-deux, coincé entre l’homo economicus et l’homo religiosus. Le premier, moderne et rationnel, rejette le passé. Le second, homme religieux hait la modernité. Selon Glücksmann « empruntant au présent sa négation du passé, et au passé sa négation du présent le révolté démolisseur végète dans l’entre-deux. Il écrase tout avenir sous le poids de sa négation ou écrase en plein vol ».
L’analyse nihiliste s’appliquait initialement à une situation différente, celle des attentats suicide. Pourtant, les trajectoires des deux jeunes français illustrent ce nihilisme. Ils sont de la modernité en la haïssant. Modernes, ils ont rejeté tout ce qu’ils ont pu hériter : leur famille, leur campagne, et peut-être plus déroutant encore leur éducation catholique. Anti-modernes ils haïssent cette modernité dépourvue de sens, et recherchent l’offre de la plus grande radicalité. Les tenants de l’anti-modernisme le plus radical, teinté de haine occidentale est sans conteste l’extrémisme islamiste. La critique de la modernité est commune, et fortement présente dans d’autres religions. Elle est aussi nourrie par les catholiques (il suffit de regarder le sous-titre du blog des Cahiers Libres « Dans le monde, sans en être »). Mais d’aucune de ces critiques n’est né actuellement une telle radicalité. C’est cette radicalité qui semble primer sur la foi chez les jeunes djihadistes français.
Il faut en tout cas dissocier le nihilisme, philosophie et ressenti personnel, de l’action politique exprimée dans l’action. L’action ne nourrit pas la vérité de leur action. Certains commentaires font la comparaison avec les jeunes partis pour la guerre d’Espagne. Ce serait le moment héroïque, de ces jeunes, une raison de mourir pour une idée, une foi, quelque chose. Mais les combattants de la guerre d’Espagne partaient se battre pour défendre des idées modernes, la démocratie, le droit, la lutte contre la tyrannie. Ils ne faisaient pas primer la radicalité sur la foi en leurs idéaux, bien au contraire. Peut-être se trouvaient-il parmi eux de réels nihilistes qui partaient se battre pour la destruction, nihilistes actifs qui plutôt que de ne rien vouloir voulaient le rien. L’histoire les aura oubliés.
D’autres caractéristiques interrogent dans ces deux portraits : la jeunesse, et la solitude du départ. Olivier Roy dans un article sur « Al-Qaida et le nihilisme des jeunes » (Esprit mars-avril 2014) démontre en quoi le problème fascine la jeunesse. Les anciens cadres d’Al Qaeda n’ont pas ce nihilisme, ce sentiment de « non-appartenance » au monde. Olivier Roy soutient la thèse que le nihilisme n’est pas islamique. Il est générationnel. La radicalité de l’état islamique est simplement la meilleure offre sur le marché. L’auteur opère un parallèle judicieux avec la tuerie étudiante de Columbine. Cela amène à une toute autre question, bien plus angoissante : Pourquoi ce nihilisme générationnel ?
Les sources de ce mal-être sont multiples et il est inutile de se perdre ici en conjectures. Ce nihilisme nous interroge tous et n’est pas finalement une œuvre isolé. Comment se fait-il que ces jeunes aient sombrés ainsi ? Qu’aurions nous pu faire pour les retenir ? A la fin d’un article du Monde visitant la commune de Maxime, le maire s’interroge, et cette interrogation laisse un goût amer au lecteur. Selon le maire il n’y a pas de désoeuvrement possible dans sa commune foisonnante d’activité, vie citoyenne, activités sportives…. « Et on a même construit un skate park ! ». Ce n’est pourtant pas en divertissant ces jeunes, en les occupant, que nous aurions empêchés des questionnements inévitables sur le sens. Par le divertissement nous avons cru que nous pourrions éviter cela (il suffit d’écouter le bourdonnement incessant de ceux qui réclament plus de laïcité suite à ces nouvelles). Nous avons refusé de les accompagner dans ces questionnements inévitables et nécessaires. Ce que finalement Saint Exupéry écrivait dans sa dernière lettre « cela c’est de l’époque, non de l’Amérique : l’homme n’ a plus de sens. Il faut absolument parler aux hommes. »
Et de s’interroger : « « Que faut-il dire aux hommes ? ».
@marindodouss
Une réponse à “Le nihilisme djihadiste”
Mon analyse sur Jonastre. Ce n’ est qu’une facette d’un malaise plus général.