Les talents

En ce 33e dimanche du Temps ordinaire, après un excursus pour commémorer les fidèles défunts et célébrer l’anniversaire de la dédicace de la basilique saint Jean-de-Latran, nous reprenons, pour l’avant-dernière fois, la lecture continue de l’Evangile selon saint Matthieu. La semaine prochaine, en célébrant le Christ Roi de l’Univers, nous en finirons avec l’année liturgique 2013-2014 pour entrer dans celle de 2015, par le Temps de l’Avent.
En cette fin d’année liturgique, nous retrouvons une parabole : celle des talents. En ce jour, l’Eglise notre Mère nous rappelle qu’à l’heure de notre mort, nous serons jugés sur l’amour. Pour vivre notre vocation de baptisés, elle nous exhorte à répondre à l’appel pressant de Dieu le Père, afin que, selon le mot du rituel du baptême, nous ayons part avec le Christ à la vie éternelle.
Que nous dit l’Evangile de ce jour ? Un homme part en voyage. Saint Grégoire le Grand décrypte ces versets en disant : « Cet homme qui part pour un pays lointain, c’est le Sauveur qui (…) s’en va dans le ciel1Homélie sur les péricopes évangéliques, IX, 1.. » Cette absence est l’occasion pour lui de confier ses biens à ses serviteurs. Le texte précise qu’ « à l’un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. »
Mission personnelle et communautaire
La parabole nous parle de talents, nous pouvons légitimement nous demander ce qu’ils sont ? Avec saint Jean Chrysostome, nous pouvons dire : « Les talents représentent ici tout ce qui a été mis à notre disposition, la fortune, la science, l’influence, et tout le reste2Homélie LXXVIII.. »
En bons post-modernes prompts à se battre contre toutes les inégalités, même celles qui ne le sont pas, beaucoup d’entre nous s’insurgent : pourquoi les serviteurs ne reçoivent-ils pas tous la même chose ? A cela, je répondrais que l’égalité numérique est souvent un leurre. L’Evangile nous parle plus de la dignité des personnes que de leur égalité. Tous, bien que différents, nous sommes égaux en dignité de par notre création à l’image et comme à la ressemblance de Dieu. Aussi, chacun de nous reçoit une mission personnelle et « communautaire », que nous pouvons accomplir selon ce que nous sommes : avec nos talents, nos forces et nos faiblesses, pour notre bien et celui du monde dans lequel nous vivons.
“Vous n’êtes pas plus pauvre que la veuve de l’Evangile, vous n’êtes pas plus ignorant que Pierre et Jean”
Saint Jean Chrysostome de poursuivre : « Que personne ne dise :’Je n’ai qu’un talent, je ne puis rien faire.’ Vous pouvez avec un seul talent faire du bien. Vous n’êtes pas plus pauvre que la veuve de l’Evangile, vous n’êtes pas plus ignorant que Pierre et Jean ; et cependant cette veuve, ces apôtres surent montrer leur bonne volonté, ils s’employèrent à l’utilité commune, ils méritèrent le ciel. Dieu nous a donné la faculté de parler ; il nous a donné les mains, les pieds, la force corporelle, l’esprit, l’intelligence qui fait servir tout cela à notre salut et à l’utilité d’autrui3Homélie LXXVIII sur l’évangile selon saint Mattieu, 3.. »
Aussi, dans cet Evangile nous pouvons dire que les trois personnes ont reçu une même mission : faire fructifier les talents qu’elles ont reçus. En outre, nous savons que le maître de la parabole connaît ses serviteurs, c’est pourquoi il confie à chacun d’entre- eux une mission proportionnée à ses capacités tout en exigeant le meilleur de tous.
Cet Évangile nous invite, aujourd’hui, c’est-à-dire tant qu’il est encore temps, à prendre conscience de tous les talents que nous avons reçus de Dieu et à le remercier. Dans un second temps, nous pourrons considérer l’usage que nous en avons fait jusque-là, et si nécessaire Lui demander pardon ainsi que la force d’en faire profiter largement autour de nous, pour sa gloire et le salut de tous. Concrètement nous pouvons considérer ces talents en termes de vocation et de missions.
Peur mortifère
Reprenons la lecture du texte : « Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite et dit : Maître, je savais que tu es un homme dur ; tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain… » Jésus pointe ici une attitude mortelle de l’homme face à son Créateur et Sauveur. Parmi les talents qui ont été donnés à toute l’humanité, se trouve la capacité naturelle de connaître Dieu. Qui plus est, par le baptême (le talent commun à tous les chrétiens), la méditation de la Parole de Dieu, l’écoute attentive de l’enseignement de l’Eglise et la réception des sacrements … Nous devrions tous avoir une image vraie et belle de Dieu, l’image d’un Dieu bon et miséricordieux et sans cesse chercher à mieux le connaître. Or, du fait du péché, nous avons souvent la même attitude que ce serviteur.
Comme Adam – qui après la chute dit à Dieu : « J’ai entendu ton pas, j’ai eu peur et je me suis caché. » – nous ne sommes plus dans la juste attitude de la crainte respectueuse de Dieu, mais dans la peur mortifère. La conséquence de cela est terrible, elle fait partie du plan du Diable depuis la chute de nos premiers parents. Une mauvaise connaissance de Dieu entraîne un dévoiement du regard que nous portons sur Lui. Cependant, Dieu n’est pas le Dieu de la peur et de la mort mais le Dieu de la vie. Il veut que nous revenions à Lui de tout notre cœur. Il attend de nous que nous l’aimions et l’adorions, mais, Il ne reçoit souvent, en réponse à son amour que la peur, le soupçon voire le rejet. Si tel est le cas, je vous invite à vous souvenir de l’enseignement de saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle… »
“En cette fin d’année liturgique, reprenons-nous !”
Bossuet dit à propos du serviteur qui entretient une mauvaise image de son maître : « C’est bien là l’homme qui cherche des excuses à son péché. Lui qui aurait dû tout humblement accuser sa lâcheté et implorer la clémence du père de famille, il se met à l’accuser. Il joint l’orgueil à la paresse et à la négligence4Méditations sur l’Evangile, la dernière semaine, XC jour. . » Alors, en cette fin d’année liturgique, reprenons-nous. Implorons l’Esprit Saint, afin qu’Il nous donne la volonté de vivre l’Avent qui approche comme un temps de grâce. Le temps opportun pour accueillir Dieu qui par amour de sa créature se fait l’un de nous afin de nous communiquer sa paix et sa miséricorde inépuisable.
Voilà pourquoi, en cet avant-dernier dimanche du Temps ordinaire, je vous exhorte à faire fructifier vos talents et à répondre généreusement aux appels de Dieu en vivant votre vocation de chrétiens engagés et décomplexés dans le monde. Reprenons l’oraison de ce jour et demandons-Lui : « Accorde-nous, Seigneur, de trouver notre joie dans notre fidélité : car c’est un bonheur durable et profond de servir constamment le créateur de tout bien. » Suivons les conseils de l’apôtre saint Paul dans l’Epître aux Thessaloniciens : « Ne restons pas endormis comme les autre, mais soyons vigilants et restons sobres. » Afin que nous puissions tous entendre au jour du jugement qui viendra comme un voleur, les paroles du Seigneur : « Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses (…) entre dans la joie de ton seigneur.”
Bon dimanche, bonne préparation à la fête du Christ Roi, et bonne semaine à tous !
Pod
NB : En supplément, voici un extrait d’une méditation de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « Une fois je m’étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j’avais peur que tous ne soient pas heureux ; alors Pauline me dit d’aller chercher le grand ‘verre à Papa’ et de le mettre à côté de mon tout petit dé, puis de les remplir d’eau, ensuite elle me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu’ils étaient aussi pleins l’un que l’autre et qu’il était impossible de mettre plus d’eau qu’ils n’en pouvaient contenir. Ma Mère chérie me fit alors comprendre qu’au Ciel le Bon Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu’ils en pourraient porter et qu’ainsi le dernier n’aurait rien à envier au premier. »
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | Homélie sur les péricopes évangéliques, IX, 1. |
2. | ↑ | Homélie LXXVIII. |
3. | ↑ | Homélie LXXVIII sur l’évangile selon saint Mattieu, 3. |
4. | ↑ | Méditations sur l’Evangile, la dernière semaine, XC jour. |
Une réponse à “Les talents”
[…] peut encore changer les choses, encore faut il prendre le temps de préparer ce changement. Chacun selon ses talents pourra faire avancer les […]