Osée le Synode

Osée et Gomer, enluminure du XIIIe siècle.
Le synode extraordinaire sur la famille vient de se refermer. Pour certains, il laisse un goût de d’incertitude. Le déroulement du synode a laissé la part belle à des appels d’air largement véhiculés par les médias, laissant l’impression que les évêques “[renversaient] la table”. Notamment en ce qui concerne la situation des divorcés et remariés civilement, ainsi que des couples homosexuels.
Les débats ont montré la difficulté à dépasser l’opposition entre les tenants de la lettre et ceux de l’esprit, entre la doctrine et la pastorale, en la loi et les prophètes. Le pape François avait demandé à ce que chacun s’exprime librement, selon la plus pure tradition scolastique.
Il n’y a en effet rien de plus étranger au catholicisme que ces débats feutrés d’antichambres. Le Christ appelle une parole claire : “Que votre oui soit oui, que votre non soit non”. Quitte à se tromper et à avoir l’humilité de le reconnaître.
“Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37).” (Pape François) 1François, Evangelii gaudium, n°49.
Le fait est que l’Église mérite bien mieux que cela. Peut-être l’expérience était-elle si nouvelle pour les évêques, qu’ils ont du mal à bien mettre en œuvre l’exercice. Il leur faudra du travail avant de parvenir à le maîtriser parfaitement.
François dénonce dans son discours de clôture les différentes tentations qui ont pu animer les débats : les tentations des traditionalistes qui veulent conserver la sécurité de la lettre, comme celle des progressistes “mondains” qui veulent plus “séduire” leur ouailles que les amener au Christ.
Ces réactions proviennent toutes deux de peurs : la peur de voir des certitudes doctrinales ébranlées, la peur provoquée par les respects humains (comment vais-je apporter cette parole à des personnes qui risquent de mal l’accueillir ?).
Il semble – à première vue – qu’aucun des deux “partis” n’ait bien compris l’appel de François à “se laisser surprendre”. Accepter que, la tradition de l’Église, l’Évangile puissent contenir des ouvertures insoupçonnées. Accepter que ces ouvertures ne soient pas des révolutions, mais bien des appels à un approfondissement de la foi des fidèles dans la tradition de l’Église.
Le fait est que ce synode nous appelle à apporter une plus grande attention aux situations familiales difficiles et complexes. A ne pas s’arrêter à la situation, mais à vouloir diriger notre attention vers ce qui peut permettre à des personnes de rejoindre la pleine communion ecclésiale.
En d’autres termes, changer notre regard, pour ne plus regarder ce qui – chez les autres – est contraire à la doctrine, mais ce qui peut être un point positif pour l’amener plus haut : une attitude, une vertu humaine, un caractère, une contrition sincère…
Nous devrions avoir l’attitude du prophète Osée : “mon épouse infidèle, je vais la séduire“. Nous devrions attirer ! Nous devons rendre le chemin du Christ désirable. Mais pour cela, nous devons accepter deux conditions :
- se rappeler à nous-mêmes que nous sommes des pécheurs pardonnés, des pécheurs sauvés par le Christ. C’est la condition pour ne pas aborder les situations les plus complexes avec un regard hautain ;
- se dire que ce n’est qu’en donnant l’exemple joyeuse, d’une vie de foi et de vertu, que nous pourrons donner envie à nos contemporains de suivre les chemins proposés par l’Église ;
Sortir aux périphéries
Osée est ce prophète qui exprime un Dieu voulant attirer son épouse à Lui. Mais pour cela, il la fait passer par une série de “purifications”.
Comme le montre Louis Bouyer, Osée est le prophète qui montre que le retour à la justice de l’être aimé, n’est justement possible que par un surcroît d’amour.
“Osée découvre, ce qu’est, ce que peut être le cœur de Dieu pour l’homme injuste. Au message de la justice inexorable d’Amos, il apportera le complément d’un message de pardon. Mais ce pardon ne sera pas un oubli des exigences de la justice. Il sera la force créatrice qui rendra l’impossible possible, qui en fera l’œuvre inouïe de l’amour miséricordieux.
C’est en effet de la découverte de cet amour que tout dépend. A partir d’elle, toute la vue que l’on se fait de la réalité se recompose. La faute elle-même en prend une signification plus profonde et infiniment plus tragique. De la simple infraction à la justice, elle devient une infidélité à l’amour.” 2Louis Bouyer, La Bible et l’Évangile, p67, Cerf.
Il faut ainsi accepter de renoncer à cette tentation “bourgeoise” qui consiste à prendre en compte le regard des autres : “que vont penser mes amis de moi, si je me rapproche de tel ou tel ?”. C’est l’expression d’un respect humain que le Christ a fermement condamné.
Il faut se dire que, quelle que soit notre attitude (repli ou ouverture), il s’en trouvera pour la condamner. Comment alors, ne pas adopter celle qui nous fait ressembler le plus au Christ ? “Il fait bon accueil aux publicains et aux pécheurs” disaient de lui ses contemporains.
Il faut se le dire : quoi qu’en pensent ceux qui nous entourent, “fréquenter”, “être ami avec” ne signifie pas “justifier”. Saint Josémaria Escriva exprimait cette exigence de charité dans son ouvrage Forge :
“L’amour des âmes, pour Dieu, fait que nous aimions tout le monde, que nous comprenions, excusions, pardonnions…
– Il nous faut un amour qui couvre la multitude des défaillances des misères humaines. Nous devons avoir une charité merveilleuse, veritatem facientes in caritate, pour défendre la vérité sans blesser personne.” 3Saint Josémaria Escriva, Forge, 559.
Nous devons être à l’image du Christ qui va rechercher la plus petite étincelle de sincérité dans la contrition pour relever la personne. Le redresse-t-il pas la femme courbée, elle qui ne pouvait se relever pour le regarder en face et exprimer son désir d’être guérie ?
Le rôle du chrétien est donc là : ramener chacun vers le Christ. Ce chemin, il ne peut être fait que si le chrétien se rend compte qu’il a lui-même besoin de conversion.
Attirer au Christ
Les époux ont une véritable responsabilité dans la diffusion du message de l’Évangile en ce qui concerne le mariage. En tant que couple, ils sont témoins de cette lumière, comme le disait Paul VI :
“Parmi les fruits qui proviennent d’un généreux effort de fidélité à la loi divine, l’un des plus précieux est que les conjoints eux-mêmes éprouvent souvent le désir de communiquer à d’autres leur expérience. Ainsi vient s’insérer dans le vaste cadre de la vocation des laïcs une nouvelle et très remarquable forme de l’apostolat du semblable par le semblable: ce sont les foyers eux-mêmes qui se font apôtres et guides d’autres foyers. C’est là sans conteste, parmi tant de formes d’apostolat, une de celles qui apparaissent aujourd’hui les plus opportune” 4Bienheureux Paul VI, Humanae vitae, n°26.
Mais, comme me le répète souvent mon manager “On ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif”. Il faut que ce soit lui qui nous le demande et pour cela, il faut qu’il en ait envie.
L’exemple de la Samaritaine est particulièrement illustratif : elle ne semblait pas avoir de besoin spirituel particulier. Elle semblait ne se soucier que de ses petits problèmes quotidiens, comme ne pas aller trop souvent au puits. Mais le Christ lui a montré un chemin plus élevé : il lui a donné soif, il lui a fait désirer “l’eau vive”. Et c’est elle qui, après, lui a demandé de rester avec eux.
Le mariage a une véritable valeur spirituelle, qu’Osée découvre et que St Paul révélera pleinement : l’amour de Dieu s’apparente à des noces.
“Pour décrire la nouvelle intervention divine qui réparera et consommera l’histoire de son peuple, il va introduire une image destinée à un immense avenir. C’est l’image des noces, figuration toute spontanée de son intuition révélatrice de la hésèd, de l’amour miséricordieux de Yahve, telle que celle-ci avait jailli de sa propre existence. […]
Je te fiancerai à moi pour toujours;
je te fiancerai à moi dans la justice et le jugement;
dans la grâce et la tendresse;
je te fiancerai à moi dans la fidélité
et tu connaîtras Yahvé.” (Louis Boyer) 5Louis Bouyer, La Bible et l’Évangile, p69, Cerf.
Les personnes mariées vivent cette expérience toute particulière : l’union de Dieu à son peuple, se matérialise dans leur union propre. Elle est sanctifiée. Mais cette sanctification ne vise pas une gloire toute humaine. Elle vise à exprimer cette hésèd de Dieu. C’est cette conscience qui doit être la joie – cette joie toute surnaturelle – du couple : nous sommes sauvés par le Christ, par et dans notre mariage.
Les couples mariés doivent être, une expression de l’amour miséricordieux de Dieu. Ils doivent attirer et donner envie de vivre la même chose. Le fait qu’un couple “fonctionne”, ne doit donc pas être un motif de gloire pour les époux, mais plutôt un appel constant à la prise de conscience, car chaque couple est fragile et chaque couple nécessite la miséricorde divine.
Un couple uni, ne peut donc pas être “donneur de leçon” vis-à-vis de ceux qui le sont moins ou plus, mais bien plutôt des dispensateurs de la miséricorde divine dont ils sont des signes. Car c’est toujours Dieu qui nous aime le premier.
Nous devons donc commencer à aimer le prochain, avant même qu’il aime Dieu. “Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimé” nous dit le Christ. Cela ne concerne pas seulement l’intensité, mais la démarche gratuite d’amour, vis-à-vis de celui qui est loin, dans les “périphéries”.
C’est cet exemple d’ouverture qui permettra à ceux qui se sont éloignés, pour une raison ou une autre, du chemin ecclésial, d’y revenir. Et à ceux qui ne le connaissent pas, de le rejoindre. Mais cela ne tiendra que si nous avons sans cesse en tête, le fait que nous avons été les premiers à bénéficier de la hésèd de Dieu.
“L’expérience personnelle de nous laisser accompagner et soigner, réussissant à exprimer en toute sincérité notre vie devant celui qui nous accompagne, nous enseigne à être patients et compréhensifs avec les autres, et nous met en mesure de trouver les façons de réveiller en eux la confiance, l’ouverture et la disposition à grandir.” (Pape François) 6François, Evangelii gaudium, n°172..
Paul VI appelait les pasteurs, à cette même délicatesse, nourrie par la conscience de notre faiblesse dans Humanae vitae :
“Ne diminuer en rien la salutaire doctrine du Christ est une forme éminente de charité envers les âmes. Mais cela doit toujours être accompagné de la patience et de la bonté dont le Seigneur lui-même a donné l’exemple en traitant avec les hommes. Venu non pour juger, mais pour sauver (41) il fut certes intransigeant avec le mal, mais miséricordieux envers les personnes. Au milieu de leurs difficultés, que les époux retrouvent toujours, dans la parole et dans le cœur du prêtre, l’écho de la voix et de l’amour du Rédempteur.” 7Bienheureux Paul VI, Humanae vitae, n°172.
Nous devons exhaler, par notre foi vivante, notre conduite, notre bonne humeur, “la bonne odeur du Christ”. Nous ne pouvons pas être des couples et des familles tristes. Nous ne pouvons pas avoir peur de “nous salir”, comme Simon le Pharisien, au contact de personnes dont la conduite n’est pas conforme à l’enseignement de l’Église. Si nous ne nous invitons pas chez eux, qui le fera ?
La famille chrétienne doit être un foyer “lumineux et joyeux”. Un foyer éclaire, réchauffe et – naturellement – il attire. Ce ne doit pas être une lumière ou une chaleur feinte, extérieure trop “parfaite”. Cela ne doit pas camoufler les difficultés. Une joie sans les difficultés, est celle de l’animal en bonne santé. On peut mesurer la profondeur de la joie, à l’aune des croix que la personne à endurées avec le Christ.
Mais on doit sentir que ces dernières sont vécues dans la foi, l’espérance et la charité : au d’autres termes, que la véritable source de chaleur de ce foyer, ne sont pas des normes sociales parfaitement (et froidement) appliqués et intégrées, mais bien le cœur brûlant du Christ.
“Je suis venu allumer un incendie sur la terre, et comme j’aimerais qu’il brûle !” (Lc 12, 49). Voilà quelle devrait être la devise de tout foyer chrétien. C’est le Christ qui doit être au centre de la vie chrétienne. Nous devons l’élever haut, au-dessus de nos têtes. Alors – et seulement alors – nous pourrons dire avec le Christ “Quand je serai élevé de terre, j’attirerai toutes choses à moi.”
Skeepy
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | François, Evangelii gaudium, n°49. |
2. | ↑ | Louis Bouyer, La Bible et l’Évangile, p67, Cerf. |
3. | ↑ | Saint Josémaria Escriva, Forge, 559. |
4. | ↑ | Bienheureux Paul VI, Humanae vitae, n°26. |
5. | ↑ | Louis Bouyer, La Bible et l’Évangile, p69, Cerf. |
6. | ↑ | François, Evangelii gaudium, n°172. |
7. | ↑ | Bienheureux Paul VI, Humanae vitae, n°172. |
Une réponse à “Osée le Synode”
Une lecture complémentaire du Synode : développer l’«art de l’accompagnement» http://www.theologieducorps.fr/actualites/2014/10/synod14-developper-lart-de-laccompagnement