Faut-il applaudir l’indépendance écossaise ?
La publication d’un sondage donnant le oui vainqueur du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, prévu le 18 septembre, a affolé les dirigeants britanniques. Le Premier ministre conservateur David Cameron, expert en rodomontades, paye cher son arrogance affichée et sa certitude qu’une victoire indépendantiste était impossible.
L’Europe entière s’alarme : le « First minister » écossais Alex Salmond sera-t-il capable d’aller jusqu’au bout ? En France, on serait tenté d’être spontanément sympathisant de l’indépendance écossaise, la mythique Auld Alliance oblige. Pourtant, il est évident qu’un tel événement serait un appel d’air pour tous les séparatismes européens, avec des conséquences dramatiques. De plus, si la spécificité historique et culturelle de l’Ecosse est une réalité, elle ne peut être à elle seule le fondement de la légitimité de son indépendance.
L’Ecosse de l’indépendance à l’union
Il est vrai que l’Ecosse fut pendant des siècles un Etat indépendant de l’Angleterre. C’est à la fin du XIIe siècle qu’a lieu la première tentative de conquête anglaise du royaume indépendant d’Ecosse : en 1296, le roi Edouard Ier d’Angleterre envahit le pays et destitue le roi Jean Baliol, qui s’était uni à la France. William Wallace organise une guerre d’insurrection, immortalisée autant que caricaturée par Mel Gibson. La bataille de Bannockburn, en 1314, rétablit l’indépendance écossaise contre les Anglais: c’est pour commémorer cette victoire que Alex Salmond a choisi d’organiser le référendum, 700 ans plus tard.
Les Ecossais consentiront toutefois à la perte de leur indépendance, en se ralliant à la Réforme protestante. Par anticatholicisme et rejet de l’influence française (la reine d’Ecosse Marie de Guise, qui règne de 1538 à 1560, est Française et catholique), les presbytériens, issus du calvinisme, se tournent vers l’Angleterre protestante. A la mort de Marie de Guise, sa fille Marie ne peut empêcher le Parlement écossais de dénoncer l’alliance française, et d’établir une Eglise d’Ecosse presbytérienne. Au bout de sept ans, Marie est forcée à abdiquer, et son fils Jacques lui est arrachée pour être élevé en protestant. Il règne sur l’Ecosse et l’Angleterre, préfigurant l’union des deux pays.
Malgré les violentes dissensions entre presbytériens et anglicans, les Parlements écossais et anglais signent en 1707 l’Acte d’Union, pour réduire à néant les revendications de la dynastie catholique des Stuart, chassée du pouvoir par les Hanovre protestants. Tout au long du XVIIIe siècle, suite à une révolte des Stuart en Ecosse, la culture écossaise est durement réprimée par les Anglais, mais le sentiment national reste toujours vivace.
La découverte de pétrole au large des côtes, dans les années 1970, rend possible la souveraineté écossaise. Le Scottish National Party (SNP), parti de gauche crée en 1934, réalise une performance en 1974, en envoyant 11 élus à Londres. Il arrive au pouvoir en 2007. Après sa reconduite aux affaires en 2011, sa revendication indépendantiste devient réalité.
L’Ecosse indépendante : l’Angleterre aux conservateurs
Si l’Ecosse accède à l’indépendance, l’équilibre entre le Parti conservateur et le Parti travailliste, sur lequel repose la vie politique britannique en serait bouleversé. A entendre les Britanniques engagés à gauche, l’indépendance de l’Ecosse serait catastrophique. Le Parti travailliste perdrait pas moins de 40 députés, sur les 257 dont il dispose à Westminster, et serait dans l’incapacité de remporter une majorité aux prochaines élections. Un Royaume-Uni sans Ecosse serait livré, craignent-ils, aux conservateurs, qui dominent le Sud, tandis que le Nord et l’Ecosse sont acquis aux travaillistes.
Pourtant, les conservateurs, chantres de l’unité britannique, seraient dans l’immédiat les grands perdants du scrutin. David Cameron serait accusé d’avoir laissé le pays se diviser. L’aile droite de son parti, qui ne le supporte pas, pourrait être tenté de le pousser vers la sortie. Le référendum servirait également les intérêts du UKIP de Nigel Farage, qui mord sur leur électorat, en se présentant comme le « vrai » parti conservateur.
Qu’en pensent les chrétiens ?
Le dernier recensement du gouvernement écossais de 2011 indique la forte sécularisation de l’Ecosse : 43 % de la population se déclare sans-religion. Sur les 57 % restants, 32 % sont membres de l’Eglise d’Ecosse presbytérienne, 15 % sont catholiques, et 5 % sont baptistes ou anglicans. Cette situation est essentielle pour comprendre le référendum écossais, car l’Acte d’Union fut une allégeance politco-religieuse à l’Angleterre. Avec la sécularisation depuis les années 1970, cette union protestante n’apparaît plus comme une évidence.
Toutefois, les vieux sentiments existent encore : les presbytériens sont majoritairement défavorables à l’indépendance, car l’Eglise d’Ecosse est dirigée par la Reine, comme l’Eglise anglicane d’Angleterre. A l’inverse, les catholiques sont acquis à l’indépendance, car ils appartiennent aux classes populaires, sensibles au discours social du SNP, pourtant violemment protestant et anticatholique à ses débuts. Le Pape François s’est cependant prononcé contre le référendum, et les évêques catholiques sont silencieusement hostiles.
Des Ecosses dans toute l’Europe ?
L’indépendance possible de l’Ecosse intervient dans un contexte où les revendications séparatistes sont nombreuses en Europe : catalans en Espagne, Flamands en Belgique, Hongrois en Slovaquie, Roumanie et Serbie.
Pour contrecarrer les velléités séparatistes, la solution d’une plus large décentralisation semble s’imposer. Cependant, en Espagne comme en Ecosse, les exemples montrent que, loin de leur couper l’herbe sous le pied, ils ont revigoré les mouvements indépendantistes. Depuis que le gouvernement travailliste de Tony Blair a réinstauré le Parlement écossais à Edimbourg en 1999, l’Ecosse est compétente dans presque tous les domaines, sauf les affaires étrangères et la défense. Cette situation de quasi-indépendance est ubuesque, et l’on comprend les arguments nationalistes écossais qui veulent la clarifier. Mais malgré le strict droit des Ecossais à décider de leur destin, leur référendum est une affaire européenne. Les situations sont différentes d’un pays à l’autre. Mais il serait irréaliste de croire que le symbole d’une Ecosse indépendante ne représente immédiatement un exemple à suivre pour les séparatismes européens.
Pierre Jovanovic
Une réponse à “Faut-il applaudir l’indépendance écossaise ?”
[…] y a quelques jours, l’Ecosse se prononçait contre son indépendance. Ce référendum, qui vous a été présenté dans ces Cahiers, était scruté de toutes parts, du fait des enjeux importants qu’une victoire du Oui aurait […]