Les expériences démocrates chrétiennes françaises jusqu’en 1940, partie 1
La Démocratie-chrétienne française a connu une histoire complexe pleine de paradoxes, d’échecs, mais aussi de personnalités passionnantes.
Nous avons vu, tout au long de cette série, différents épisodes de cette histoire riche et contrastée : 1830, 1848, le pontificat de Léon XIII. Cette fois-ci nous allons aborder une phase plus longue : la période allant de la publication en 1902 de l’encyclique Graves de Communi, à la défaite de 1940. Elle illustre parfaitement les contradictions de cette famille de pensée.
Pendant toutes ces années, les démocrates-chrétiens français ont été divisés, ont parfois été rappelés à l’ordre par le Pape, et n’ont jamais dépassé 4% de vote et trente députés. Ils n’ont quasiment pas participé aux gouvernements de la IIIème République (sauf à de rares exceptions). La DC a donc été une force politique mineure, alors que de nombreux intellectuels en étaient proches et que ses idées étaient souvent bien reçues.
Cela est surprenant, la Démocratie-chrétienne est née en France et c’est à l’étranger qu’elle a prospéré. Ces différents partis ont connu quelques succès électoraux avant l’arrivée des régimes fascistes et nazis qui ont stoppé net leur activité.
La DC française a connu un premier revers avec Graves de Communi. Cela a incité le Parti Démocratique Chrétien à se dissoudre. La plupart de ses membres se sont alors retrouvés dans un autre mouvement : Le Sillon.
Fondée en 1894 par un jeune et brillant polytechnicien de vingt et un ans, Marc Sangnier, la revue du Sillon a été le principal organe démocrate-chrétien.
Sangnier était un battant, un homme énergique, ancien lieutenant du Génie qui a démissionné de l’Armée pour se consacrer intégralement à la cause chrétienne et démocrate. Tribun exceptionnel, il a su donner au Sillon et à ses nombreuses ramifications locales une âme commune. Quelle était cette âme ? Une volonté de réconcilier les catholiques et la démocratie, réussir le ralliement prôné par Léon XIII là où les autres avaient échoué. Sa devise ? Dieu et le peuple.
Il avait constitué un vaste réseau de lieux de rencontres destinés à la jeunesse. Il visait principalement les jeunes et organisait pour eux des sessions de formation. C’est dans ce cadre qu’il a fondé les « Auberges de jeunesse », les Instituts populaires et les cercles d’études sociales. Enfin pour protéger les manifestations du mouvement il a créé en 1902 la « Jeune garde ».
Le fondateur du Sillon n’était pas un « catholique intransigeant, démocrate par défaut » mais un homme « passionnément catholique et ardemment démocrate » comme il le disait lui-même. Il considérait la démocratie comme un idéal moral, le système chrétien par excellence, « l’organisation politique et sociale qui tend à développer au maximum la conscience et la responsabilité de chacun. »
Mais le Sillon n’était pas un parti politique. Il s’agissait d’un « mouvement civique mi-religieux, mi-politico-social » comme le qualifie Pierre Létamendia dans son Que sais-je sur la Démocratie-chrétienne. Sa force reposait sur son rôle de formateur des cadres et cela a eu une influence importante sur les catholiques français.
L’expérience du Sillon s’est arrêtée en 1910. Le Pape Pie X était alors confronté à la crise dite « moderniste ». Peu favorable à la démocratie, il craignait la diffusion d’idées modernes au sein de l’Eglise. Le modernisme, condamné par l’encyclique Pascendi en 1907 concernait essentiellement la question de l’exégèse et des apports de la science historique à la compréhension de la Bible. Mais il voyait aussi d’un mauvais œil certaines initiatives politico-sociales…
Pie X a donc demandé aux évêques français d’exiger la dissolution du Sillon par une lettre du 25 août 1910. Le Pape dit dans ce texte : « Le souffle de la Révolution française a passé par là, et nous pouvons conclure que si les doctrines sociales du Sillon sont erronées son esprit est dangereux et son programme funeste. » C’est sévère. Pie X craignait en effet que ce mouvement très dynamique ne devienne trop indépendant de l’Eglise et trop proche d’une République aux idées issues de la Révolution.
Marc Sangnier s’est exécuté et a dissous le Sillon. Il aimait l’Eglise et il se soumit à elle, même si cela ne fut pas une chose facile.
L’expérience silloniste s’est ainsi terminée. Mais elle n’est pas la seule initiative de cette période. Elle a été suivie de la création de divers mouvements dont les plus significatifs ont été la Jeune République et le Parti Démocrate-Populaire.
A suivre…
Charles Vaugirard
2 réponses à “Les expériences démocrates chrétiennes françaises jusqu’en 1940, partie 1”
Merci beaucoup ! Je suis la série avec assiduité, et j’attends la suite avec impatience!
[…] dissolution du Sillon en 1910 n’a pas arrêté l’enthousiasme de Marc Sangnier et des démocrates-chrétiens […]