Vers un Concile Panorthodoxe
Rencontre avec Ion Dimitrov. Orthodoxe russe né en Moldavie, Ion est doctorant en théologie de l’Académie Théologique de Moscou et doctorant en Sciences Religieuses à EPHE à Paris.
Bonjour Ion Dimitrov, du 6 au 9 mars 2014, l’ensemble des primats orthodoxes s’est rassemblé en Synaxe au siège du Patriarcat de Constantinople à Istanbul. Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est une Synaxe dans la tradition orthodoxe et quel était l’enjeu de cette réunion ?
Bonjour Benoît. Le monde orthodoxe vient de vivre un moment d’une très grande importance, car la Synaxe qui a eu lieu fut panorthodoxe 1concernant toutes les Églises orthodoxes locales.
Le but premier d’une Synaxe est la prière commune et la concélébration eucharistique – les attributs de l’unité dans la théologie orthodoxe. Mais l’enjeu de cette réunion fut aussi la discussion et la préparation active du Concile Panorthodoxe, c’est-à-dire d’un Concile où toutes les Églises orthodoxes locales seront présentes. L’idée d’un Concile Panorthodoxe fut proposée pour la première fois en 1961 au cours de la Conférence Panorthodoxe de Rhodes (en Grèce) ; au cours de ces dernières décennies les Églises orthodoxes locales ont préparé leurs propositions et positions sur différents sujets. Il fallait donc une réunion des chefs des Églises pour voir où en sont arrivées les commissions des Églises locales.
Après de longues discussions pour établir les conditions de la réunion d’un Concile Panorthodoxe, les primats sont parvenus à un accord et ont annoncé la tenue du Concile Panorthodoxe en 2016. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce Concile ? Toutes les Églises locales ont-elles accepté l’invitation ? Comment faut-il le nommer : Concile Œcuménique ou Concile Panorthodoxe ?
Attention, lorsque nous parlons des différentes Églises locales il ne faut pas croire que l’orthodoxie soit une association des Églises ; il s’agit bien plutôt d’un corps entier, d’une intégrité organique. Ainsi, lorsqu’on décide la convocation d’un Concile Panorthodoxe, la présence de toutes les Églises orthodoxes locales (qui sont indépendantes dans leur gestion administrative, mais non pas dans les décisions d’ordre dogmatique ou canonique fondamental) est obligatoire et si une Église locale n’accepte pas l’invitation elle doit s’en justifier, sinon elle se poserait elle-même comme schismatique par rapport aux Églises-sœurs avec lesquelles elle était jusqu’alors en pleine communion eucharistique. À ma connaissance, toutes les Églises locales ont accepté l’invitation, ainsi nous pouvons et devons qualifier ce Concile de Panorthodoxe. Savoir si ce sera un Concile Œcuménique 2ndlr. : Si dans le langage courant l’œcuménique désigne ce qui a trait au travail pour l’unité des chrétiens, l’adjectif « œcuménique » est ici à prendre en son sens grec originel : « de l’ensemble de la terre habité ». Les Conciles Œcuméniques sont donc les Conciles de l’Église universelle. est une question plus difficile. D’un point de vue strictement dogmatique : oui – ce Concile sera Œcuménique, car l’œcuména orthodoxe, c’est-à-dire l’univers où est valide la doctrine dogmatique orthodoxe se limite aux Églises qui y seront effectivement présentes.
Mais il faut se rappeler que l’Orthodoxie n’a pas vécu un Concile Œcuménique depuis plus d’un millénaire. Or, au cours du deuxième millénaire, les Églises locales bien qu’unies par l’Eucharistie, ont vécu longtemps de manière quasiment isolées les unes des autres.
Il faut noter, aussi, que tous les Conciles Œcuméniques, au moins dans l’Église du premier millénaire, ont abordé des questions d’ordre dogmatique, or celui-ci va aborder des questions d’ordre canonique et bioéthique. L’Église ancienne a connu un cas similaire avec le Concile Quintisex (691) qui n’a abordé que des questions d’ordre canonique, ce Concile n’a pas été intégré à la liste nombrée des Conciles Œcuméniques, on l’a perçu comme un complément des Cinquième et Sixième Conciles Œcuméniques.
Pour savoir si l’on peut parler d’un Concile Œcuménique, il faut encore prendre en compte le fait que chacun des sept grands Conciles Œcuméniques a été reconnu comme tel par le Concile suivant ; donc vouloir dire à l’avance si ce Concile Panorthodoxe sera un Concile Œcuménique me semblerait contraire à la tradition.
Enfin, je pense aussi au siège de Rome qui est perçu comme une partie importante de la chrétienté ; prétendre réunir un Concile Œcuménique en absence du siège de Rome me semblerait un peu prétentieux, même s’il s’agirait tout de même d’un Concile Œcuménique Orthodoxe. Ainsi je préférerais simplement penser ce futur Concile comme un Concile Panorthodoxe !
L’annonce de ce Concile Panorthodoxe pour 2016 est-elle le signe d’une plus forte unité entre les Églises orthodoxes locales ?
L’annonce d’un Concile Panorthodoxe est bien sûr un signe d’une unité plus forte entre les Églises orthodoxe locales. Cependant, il n’y a pas d’unité plus forte que celle vécue dans l’Eucharistie. Or ces Églises sont déjà unies dans l’Eucharistie – la communion ensemble au Corps du Christ.
Il faut cependant reconnaître que pour bon nombre de questions canoniques, il n’y a pas d’unanimité entre ces Églises, or celle-ci est souhaitable. Ainsi le désir commun de cette unanimité peut être considéré comme le signe d’un progrès dans l’unité au niveau de ces questions secondaires.
Comme vous l’évoquiez précédemment, les grands Conciles Œcuméniques avaient tous été réunis pour faire face à des hérésies, or ce n’est pas le cas du Concile annoncé pour 2016. L’archiprêtre Nicolas Balachov du patriarcat de Moscou disait récemment que l’enjeu de ce Concile serait notamment de penser les relations des Églises orthodoxes « avec le monde hétérodoxe ». Il se trouve que c’est exactement la situation qu’a vécue l’Église catholique avec le Concile Vatican II. Ce Concile Panorthodoxe sera-t-il une sorte de « Vatican II orthodoxe » ?
Il est vrai que le Concile annoncé pour 2016 n’abordera pas de questions dogmatiques, puisqu’il n’est pas question de nouvelles hérésies. Cependant le monde hétérodoxe 3ndlr. : Héterodoxe est le contraire de orthodoxe, étymologiquement orthodoxe signifie « selon la doctrine droite » et hétérodoxe « selon une autre (hétéro) doctrine ». Le monde hétérodoxe désigne donc le monde ne partageant pas la foi orthodoxe. y sera discuté et notamment les relations des Églises orthodoxes locales avec les hétérodoxes. Au cours de plusieurs siècles d’isolement pour des raisons historiques objectives les Églises locales n’ont pas eu les mêmes règles dans leurs relations avec les hétérodoxes : catholiques, protestants, pré-chalcédoniens 4ndlr. : les Églises n’ayant pas accepté le Concile de Chalcédoine (le IVe Concile Œcuménique) tels que les coptes, les jacobites, etc.. Cependant il n’est pas à proprement parlé question d’ouverture ou de fermeture face aux hétérodoxes, puisque la plupart des orthodoxes sont de fait ouverts depuis longtemps, il est plutôt question d’unifier nos pratiques dans ces relations.
Il y a donc une ressemblance avec Vatican II, il s’agit de formuler nos relations avec les hétérodoxes ; mais il y a aussi une différence, puisque la question ne se pose pas en terme de fermeture ou d’ouverture, et qu’il s’agit d’atteindre l’unanimité entre nous sur la modalité de nos relations avec le monde hétérodoxe. Mais si l’on considère l’ensemble des questions visées et l’envergure du Concile on peut vraiment y voir un « Vatican II Orthodoxe».
Quels sont les enjeux de ce futur Concile ? Quelles sont les étapes à venir dans la préparation et le déroulement du Concile ?
Au moment où l’on a pris la décision de réunir ce Concile, en 1961, on avait une bonne centaine de thèmes à discuter. Au cours des décennies ces thèmes furent travaillés par les commissions de chaque Église locale et aujourd’hui les thèmes à discuter ont été regroupés en une dizaine :
1) l’organisation canonique de la diaspora (notamment en Europe Occidentale et en Amérique) ;
2) la modalité de proclamation et reconnaissance de l’autocéphalie (indépendance administrative totale) et de l’autonomie (indépendance administrative partielle) pour les Églises locales ;
3) l’ordre honorifique des Églises autocéphales orthodoxes ou le diptyque ;
4) le problème du calendrier liturgique (calendrier grégorien qui est celui de l’Église catholique latine et d’une partie des orthodoxes ou le calendrier julien, qui est, plus ancien et moins précis, celui de l’autre partie des orthodoxes) ;
5) le problème des canons sur le mariage (question de divorce, deuxième mariage, mariage entre une personne orthodoxe et une hétérodoxe etc.) ;
6) le jeûne dans le monde contemporain ;
7) les relations avec les hétérodoxes, dont on a déjà parlé ;
8) le mouvement œcuménique ;
9) la position orthodoxe face aux persécutions des chrétiens ;
10) la position orthodoxe face aux questions de la bioéthique, de la famille, de l’écologie, etc.
Selon la décision prise lors de la Synaxe ces questions seront abordées et étudiées par une équipe mixte rassemblant un évêque et un théologien de chaque Église locale ; cette commission mixte se réunira de septembre 2014 à avril 2015, afin de préparer la version finale des documents qui seront proposés à la signature au moment du Concile. On peut voir ici, d’une certaine manière, le début du Concile, si l’on compare avec le déroulement de Vatican II.
Il faut aussi mentionner qu’à la proposition et à l’insistance de l’Église orthodoxe russe et celle de Géorgie, les décisions seront prises uniquement à l’unanimité et non pas à la majorité, ainsi chaque Eglise a un veto sur chaque question ; de ce fait, certaines discutions pourraient être longues, voire certaines questions laissées sans réponse pour l’instant ; cependant l’unanimité est la garantie de l’unité. S’il n’y a pas de circonstances imprévues (et nous l’espérons) le Concile commencera à la Pentecôte 2016. Je dis « commencera », car, selon moi, ce sera le début d’un long et fructueux Concile, et pourquoi pas, en sessions ! 5ndlr. : comme ce fut le cas pour le Concile Vatican II
Ce Concile marque la fortification de l’unanimité des Églises Orthodoxes locales. Qu’en est-il du lien avec l’Église romaine ? L’unité Orthodoxe peut-elle favoriser la réconciliation entre catholiques et orthodoxes ? Avec un peu d’audace et un regard prophétique, peut-on rêver d’un futur Concile qui soit réellement œcuménique, à l’image des sept premiers conciles de l’Église, c’est-à-dire réunissant toutes les Églises, celle de Rome y compris ?
Il est vrai que dans les relations des Églises locales avec le Siège de Rome il n’y a pas d’unanimité, et au Concile la question de l’attitude vis-à-vis de Rome sera sans doute discutée. Il me semble qu’il est trop tôt pour parler d’une réconciliation, mais je suis presque sûr qu’il y aura des progrès dans les relations orthodoxes-catholiques. La réunion de tous les orthodoxes permettra d’exprimer une position commune qui sera celle de l’orthodoxie dans son intégralité et non pas de l’une ou l’autre des Églises orthodoxes locales. Cela facilitera beaucoup le travail de la commission mixte catholique et orthodoxe 6ndlr. : commission de théologiens travaillant depuis de nombreuses années à l’unité entre orthodoxes et catholiques.. Ces décisions faciliteront le dialogue entre les deux Églises, mais favoriseront-elles la réconciliation ? Il est encore trop tôt pour répondre objectivement.
Cependant, si on continue dans cette direction, un futur Concile réunissant catholiques et orthodoxes semble plutôt une nécessité et une réalité de l’avenir qu’un rêve. Quand, dans l’Orthodoxie, on aura une unanimité dans les questions canoniques, quand on aura, grâce à cette unanimité, un dialogue plus fructueux avec les catholiques, un Concile Œcuménique au sens large du terme, un Concile Œcuménique où Rome soit présent s’imposera. Le dialogue des orthodoxes avec Rome continue depuis plusieurs décennies et donc un tel dialogue peut finir par un Concile, je pense que c’est pour cela que cette commission mixte fait de tels efforts, sinon quel en serait le but ?
Cependant il faut être réaliste et comprendre qu’un tel Concile n’est possible que pour les Églises gardant la succession apostolique, la théologie trinitaire et la christologie de l’Église primitive, ainsi que sa doctrine morale 7ndlr. : c’est-à-dire, potentiellement l’Église catholique et les Églises orthodoxes et peut-être les Églises pré-chalcédoniennes, mais pas les communautés issues de la Réforme. De ce fait, à mon avis, il ne faut pas rêver à une réunion de tous les chrétiens dans une Église unique où cohabiteraient différentes doctrines, ce serait absurde et décevrait mêmes les plus œcuménistes des chrétiens.
Merci pour vos réponses, soyez assuré de notre prière pour ce futur Concile Panorthodoxe.
Je vous remercie, moi aussi, de l’intérêt que vous portez à l’Eglise orthodoxe.
Propos recueillis par Benoît
Lisez aussi :
Notes :
1. | ↑ | concernant toutes les Églises orthodoxes locales |
2. | ↑ | ndlr. : Si dans le langage courant l’œcuménique désigne ce qui a trait au travail pour l’unité des chrétiens, l’adjectif « œcuménique » est ici à prendre en son sens grec originel : « de l’ensemble de la terre habité ». Les Conciles Œcuméniques sont donc les Conciles de l’Église universelle. |
3. | ↑ | ndlr. : Héterodoxe est le contraire de orthodoxe, étymologiquement orthodoxe signifie « selon la doctrine droite » et hétérodoxe « selon une autre (hétéro) doctrine ». Le monde hétérodoxe désigne donc le monde ne partageant pas la foi orthodoxe. |
4. | ↑ | ndlr. : les Églises n’ayant pas accepté le Concile de Chalcédoine (le IVe Concile Œcuménique) tels que les coptes, les jacobites, etc. |
5. | ↑ | ndlr. : comme ce fut le cas pour le Concile Vatican II |
6. | ↑ | ndlr. : commission de théologiens travaillant depuis de nombreuses années à l’unité entre orthodoxes et catholiques. |
7. | ↑ | ndlr. : c’est-à-dire, potentiellement l’Église catholique et les Églises orthodoxes et peut-être les Églises pré-chalcédoniennes, mais pas les communautés issues de la Réforme |
Une réponse à “Vers un Concile Panorthodoxe”
[…] plus d’un millénaire! Ainsi que le soulignait Ion Dimitrov, jeune théologien orthodoxe, dans les pages de ces Cahiers il y a quelques mois, ce Concile sera difficile et sans doute très long, mais il est le signe […]